"LE CIEL EST DEVENU NOIR", PAR CAMILLE BERNAUD, CRITIQUE D'ART INDÉPENDANTE
Jusqu’au 6 mars la galerie Odile Ouizeman présente le travail de Laurent Pernot, un jeune artiste français. Vidéos, installations, photographies, films d’animation, un corpus d’œuvres dont la particularité est de s’inscrire dans un espace où tout paraît possible, celui de l’obscurité, de l’ombre, celui de la nuit.Le Ciel est devenu noir n’est pas nécessairement une illustration littérale de la nuit mais plutôt une façon sensitive et intuitive d’aborder cet univers fait de solitudes, de superstitions, de croyances et de questionnements, une façon d’extrapoler en un langage plastic et visuel l’onirisme et la singularité de la nuit.
De belles photographies isolent des visages d’enfants. Par un jeu de clair-obscur, les visages se détachent, les expressions se figent. Pétris dans leur état d’âme, les visages expressifs renvoient à des souvenirs ; terreurs enfantines où se mêlaient effroi et plaisir, lorsque dans l’obscurité chacun projetait ses rêves et ses inquiétudes. Dans Sortir de la nuit, le visage est reflet d’une émotion, d’une sensation, d’un vécu, en tout cas il est le chemin vers une identité. Dans Confusion (une vidéo que l’on a pu voir récemment dans l’exposition Dans la nuit des images) le visage devient plutôt le moyen allégorique d’aborder (et de questionner) le thème de l’identité lorsque, tel un masque, il se multiplie, se mélange, se superpose, se perd. Sur fond noir, un corps nu d’homme se balance doucement. Une multitude de visages se superposent au sien. Le corps se dépersonnalise, l’identité se brouille et s’efface au même rythme que les visages (de plus en plus nombreux) bourdonnent autour de lui. De même, dans la vidéo Still Alives, où d’une image fixe Laurent Pernot arrive à faire naître le mouvement (par un travail numérique), les visages s’envolent de ces corps figés et immobiles, à jamais prisonniers de ces vieilles photographies, pour ne laisser que des surfaces vides, vierges de toute identification.
Laurent Pernot fait preuve d’une belle maîtrise des moyens techniques visuels, donnant à ses images (autant les vidéos numériques que les séries de photographies) une forme de perfection, une sorte de froideur, de distance, accentuant précisément l’univers mis en place par l’artiste. Un univers de solitude, où la figure humaine est le plus souvent seule, dépersonnalisée ou inexistante, un univers où tout est sombre, calme et silencieux. En ce sens, on distingue la série de photographie Entre deux rives, où l’on voit des figures solitaires, égarées dans la nuit anonyme d’une ville. Mais surtout on retient la belle installation vidéo For Ever, peut-être la pièce la plus marquante de l’exposition. Une robe de dentelle blanche posée à même le sol, un tissu inanimé et vide. Par intermittence une jeune femme y est projetée. Des bras, des pieds, un visage, apparaissent. Le corps ondule doucement, bercé par un léger mouvement. La peau, la chair blanchie, un corps évanescent, presque transparent, rendent cette figure humaine irréelle. Une ombre qui fait penser au spectre d’une jeune mariée, à un ange déchu, à une chimère. Une fois encore, Laurent Pernot semble faire appel à une fantasmagorie plutôt qu’à une réalité (trop) concrète. Un processus, un dispositif simple (mais efficace) qui emmène le spectateur au-delà de la surface de l’image, l’incitant à y projeter ses propres rêveries.
Au sous-sol de la galerie, le film d’animation en 3D Le Quid clôt l’exposition. Un enfant, dont la parenté avec Le Petit Prince de Saint-Exupéry paraît évidente, explore dans la nuit un univers esseulé et froid. Ce sont les faisceaux de lumière qui sortent des yeux de l’enfant qui rendent visible un monde pour le moins inquiétant. Ici aussi, l’artiste, à l’aide d’un travail sur la lumière, joue au jeu du visible et de l’invisible, telle une lumière dans la nuit qui révélerait une partie du monde, offrant alors une vision altérée, fantasmée, des choses.
En travaillant à partir d’une rhétorique de la nuit l’artiste crée des œuvres énigmatiques et intriguantes, faisant surgir de ses images mystère et poésie (accentués par le choix des titres). Des œuvres contemplatives, versants visuels d’une mythologie du nocturne propre à l’artiste. L’intérêt alors est de se laisser happer par cet univers, un univers où le spectateur peut s’imaginer un hors-champ, une part d’invisible que l’obscurité cache et que l’artiste suggère à chaque instant.