Albert Baronian

Mitja Tusek

21 Apr - 28 May 2016

Exhibition view
MITJA TUSEK
Small world
21 April - 28 May 2016

Commençons par l’enracinement. Mitja Tušek est né en Slovénie puis il a émigré en Suisse à l’âge de six ans. Il y a fait « toutes ses écoles » dit-il. Ecole buissonnière comprise, précise-t-on : ses toiles sont emplies d’une atmosphère forestière, minérale, rurale... Voilà la liste des adjectifs qui collent aux paysages de ces deux contrées alpines mais plus encore : ce sont les termes dont on use pour tenter d’approcher leurs imaginaires. Nous sommes dans des pays faits de vallées encaissées, d’étagements puis d’enchevêtrements de végétations et de rochers. Nous sommes dans des pays où le folklore, où le village est roi. Et puis il y a là beaucoup de silence. Nous progressons dans la forêt sans plus trop savoir l’heure qu’il est, sans parvenir à discerner ce qui se faufile au loin sous la frondaison.

Poursuivons par le dénombrement. Nous observons que le travail s’organise volontiers en séries : sous-bois, corps allongés nus, tests de Rorschach et plus récemment cercles noirs. Ensuite il y a le double correspondant au chiffre deux. Et le neuf surgit dans la série des cercles. Chaque toile propose en effet une constellation différente de neuf cercles. C’est une référence à L’Enfer de Dante dans lequel il est dit que tout individu est constitué de neuf sphères d’influence. D’ailleurs on peut y voir des portraits puisque les toiles portent des titres de prénoms « génériques », les plus usités en France, Allemagne, Etats-Unis... Que nous révèlent ces informations ? Premièrement, une mathématique est à l’œuvre. Deuxièmement, il y a une forme d’humour contenu (ne serait-ce qu’à travers le choix pince-sans-rire des prénoms). Troisièmement, les sujets sont comme « donnés ». Vous voulez de la peinture ? Alors voilà des nus, des paysages et voilà de l’abstrait. Je vous dis que ce sont des sujets éternels. Et je vous dis que l’enjeu, c’est de prendre position.

Prenons donc position. Mais où sommes-nous exactement ? Sommes-nous au devant ou au-dedans du tableau ? Sommes nous face à des jumeaux ou entre des jumeaux ? Sommes-nous les fils ou filles de ces jumeaux ? Non contente de remettre sur la table des classiques (Dante, ailleurs Shakespeare ou les thèmes immémoriaux de la peinture), l’œuvre de Tušek rejoue aussi le trompe-l’œil. Il y a ces notions constantes de décor, d’arrière-plan. Mais il y a aussi un écran à l’avant-plan. Quelque chose masque souvent la vue. Or, nous nous sommes à peine penchés sur ce qui oblitère, que bientôt on se sent observé ! Un regard est fixé sur notre dos. C’est l’inquiétude qui nous étreint au détour d’un chemin dans la forêt. Notre anxiété est toujours démesurée ; il n’y a pas de limite à la peur ; l’actualité est là pour nous le démontrer. Néanmoins, la forêt demeure la forêt. Quand la première angoisse s’estompe, seule subsiste cette nature environnante qui ne nous est jamais véritablement hostile. Mais alors, était-ce ma psyché ou l’esprit de la forêt ? L’œuvre est en vérité sans sujet : l’œuvre est miroir. Elle enjoint le spectateur à réagir par rapport aux grands constituants d’une vie : la nature, le corps, la femme, l’amour, la place de l’homme dans l’univers. Le test de Rorschach en est d’ailleurs une bonne métaphore : ce sont nos fantasmes que l’on distingue dans ses méandres. Quant au double, il oblige à faire le focus non pas sur ce qui est regardé, mais sur qui regarde.

Poursuivons avec ce que nous n’avons pas encore dit et qui donc, par réflexion, parle nécessairement beaucoup de nous-mêmes. Bien que nous soyons tous semblables. Ce qui vaut pour un vaut pour beaucoup (ou presque). Dans le travail, les métamorphoses entre le personnel et l’universel restent constantes.
Puisque cette peinture est miroir, elle est volontiers glacis, touchant au photographique. Des toiles sont couvertes de cire, de laque les rendant réfléchissantes. Dans d’autres cas, le peintre use de pigments scintillants.
Mais si l’œuvre est aussi évanescente qu’un reflet, elle peut simultanément être puissamment incarnée, tellurique. On ne parle pas de la roche sans y mettre les moyens, sans être suffisamment mimétique. Certaines toiles sont si présentes qu’on a la sensation d’être un grimpeur qui, escaladant une falaise, comprend plus que jamais la constitution du rocher dès lors que sa vie soudainement en dépend. Cependant, l’atmosphère n’est pas que tragique ou lyrique ; elle est aussi bucolique, érotique. Après tout, on parle bien de touche en peinture et ici en plus les toiles s’embrassent : des tableaux sont dédoublés a fresco, par pression d’une surface fraîchement peinte sur une autre, jusque là vierge.

Enfin, concluons en parlant du temps. Le temps est toujours une affaire de conclusion pour nous humains qui pensons qu’il s’éteint avec nous. L’œuvre s’amuse de cette conception. Dans ses expositions, Mitja Tušek mélange avec plaisir des toiles de périodes et donc de styles différents. Dans l’atelier, la toile reste en potentiel chantier. Une touche peut toujours être ajoutée...
 

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