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MARCUS STEINWEG
 

DONNER SOMMEIL WITH DRAWINGS BY ROSEMARIE TROCKEL (2001)

PARACHUTE 101
L'IDÉE DE COMMUNAUTÉ_THE IDEA OF COMMUNITY 02
01. 02. 03. 2001
[Extrait]

"Devant qui, devant quoi est-ce que je, moi, me couche, avec quoi et avec qui."
(Jacques Derrida)

Elle effleura son front tandis qu'elle fermait ses yeux. Elle vint vers lui aveuglée par l'excitation. Prit sa tête entre les mains pour pouvoir s'éloigner de lui, tout en virevoltant dans l'une des chambres à côté, où il ne pouvait savoir, ce qu'il adviendrait de lui une fois qu'elle y serait. La pression de ses doigts avait été assez forte qu'elle laissa une empreinte valable de cette précipitation, qu'il ne comprenait pas. Il ne pouvait s'arrêter de douter qu'il rêvait. Considérer comme possible la réalité de sa disparition, cette évocation qui lui rappelait combien importante était la manière dont il habitait cette nuit, combien de temps déjà s'était écoulé avant d'expirer chaque jour. Il devait admettre qu'une sourde fatigue résidait en son coeur. Une fatigue sans frontière déterminée, imprévisible et absolue. Il ne serait jamais capable de se reconnaître lui-même au-delà du sommeil. Tout ce qui le concernait et tout ce qui le touchait avaient appartenu dès le début à cette peine, autour de cette journée impossible. Chaque toucher, chaque tremblement des paupières devait lui apparaître étrange et unique. Ses attentes se brisèrent sur cette masse. Fracassées sur ce matériau sombre dénué d'espoir dans lequel il espérait trouver sa substance. La réalité d'une trace au-delà de la frontière de la somnolence dans le sommeil. Il demeurerait sans nom, sans histoire, impossible à raconter. Un document n'ayant jamais été, qui n'avait jamais parlé, qui n'avait pas laissé de traces.

Celle qui se proclamait sa dormeuse avait inlassablement étendu sa présence. Toujours nonchalamment présente dans les moments de fuite. Bien que pour assurer sa solitude, il ait requis une certaine distance. Un état de solitude qu'il pensait être capable de gérer. Une sorte de pause sans témoins. Il devait bien y avoir la possibilité de traverser le sommeil comme l'on traverse un pays. Un pays avec des procédures frontalières et une identité généralement reconnue. Au début du premier jour, un voyage l'attendrait et ce voyage ne lui apparaissait pas être infini. Dans des phases d'optimisme inconditionnel, il trouvait qu'il faisait des progrès. Quelques fois, il pensait même avoir déjà atteint le but. Les prochains moments seraient décisifs. Une agitation fondit sur lui. Un épuisement dont la démesure menaçait de le ramener à ses tout débuts. Et comme de fait, une tristesse se manifesta. Il se laissa tomber en elle. Il but et respira cette tristesse, la respiration d'une déception considérable, sans pouvoir concevoir quand elle le libérerait et pour combien de temps, ou bien même si cela pouvait un jour être possible.

[...]