Jan Van Imschoot
22 Apr - 27 May 2006
JAN VAN IMSCHOOT
"The recrystallization of a mental maiden-hood"
Pour sa seconde exposition à la Galerie Baronian Francey, Jan Van Imschoot (°1963, Gand) présente une nouvelle série de peintures et de dessins. La pièce maîtresse en est la suite « Recristallization of a Mental Maidenhood », une déclinaison de 15 peintures à l’huile dont le thème s’inspire de la légende miraculeuse chrétienne du XIIIe siècle autour de la sainte vierge Zita. Selon la tradition, Zita était servante dans la petite ville italienne de Lucca, en Toscane. Elle volait secrètement du pain à son employeur pour le partager avec les pauvres. Son maître, qui avait des soupçons à son égard, lui demanda un jour ce qu’elle cachait sous sa robe. Elle en tira alors, comme par magie, un bouquet de fleurs. Ce miracle, dit de la métamorphose du pain en fleurs, devint rapidement très populaire dans les milieux catholiques de l’époque et le corps de Zita fut exhumé, quelques années après sa mort, pour être exhibé comme relique dans l’église locale. A la surprise générale, le corps s’avéra miraculeusement intact, ce qui renforça encore le caractère extraordinaire de l’événement. Jan Van Imschoot est fasciné par le miracle de Zita depuis dix ans déjà – il peignit aussi une toile sur ce thème à l’époque – parce qu’il lui permit, selon ses propres dires, de thématiser le plus précisément possible ses quatre centres d’intérêt : la métamorphose, la religion, la folie et l’imagination. Ces piliers sont présents, en plus ou moins grande mesure, depuis longtemps déjà dans l’œuvre de Van Imschoot, sans pour autant en former le thème proprement dit. Il s’agit plus de lignes directrices que l’artiste se fixe et qui lui permettent de peindre, le plus librement possible, à contre-courant de concepts et/ou thèmes préalablement définis. Il en va de même de cette nouvelle série consacrée à Zita. Le sujet semble éminemment religieux mais ne l’est que très partiellement. Dans dix des douze toiles, le corps en bière de Zita apparaît nettement, peint à chaque reprise depuis un angle de vue légèrement différent et avec un coup de pinceau physique. Par ce traitement pictural délibéré, Van Imschoot ne dépeint plus sa Zita comme un symbole du culte religieux dément pour les reliques mais presque comme son contraire. Le corps est ici représenté comme une sorte de paysage humain, une ode appuyée aux qualités presque sculpturales et charnelles du corps humain. Avec cette interprétation, Van Imschoot brosse naturellement une nette référence à l’idée catholique originelle sous-jacente à la légende de Zita. La folie quasi lubrique avec laquelle l’Eglise adore, met en bière et vénère en principe de tels corps de saints est, en effet, en contradiction flagrante avec l’idéologie de pure spiritualisation de laquelle elle s’est réclamée tout au long de son histoire. La symbolique de la légende miraculeuse elle-même semble, selon Van Imschoot, correspondre à tout sauf à la vision spirituelle du monde de l’institution catholique qui vénère Zita en tant que relique. Le pain qui, dans l’histoire, se transforme miraculeusement en un bouquet de fleurs porte, en tant que tel, une forte symbolique érotique. Les deux sont, en effet, iconographiquement associés depuis des siècles, respectivement à la fécondité et à la virginité. Dans la représentation de Van Imschoot, les événements qui se sont joués entre la servante et son maître prennent aussi une dimension plus qu’universelle. A-t-elle séduit son maître ? Etait-elle enceinte (de lui) ? Autant d’hypothèses apparemment gratuites, issues du cerveau d’un peintre enthousiaste, mais qui recèlent, si l’on en prend la symbolique en compte, une « vérité » aussi forte que les interprétations iconographiques classiques des livres (catholiques) d’histoire. Dans cette optique, la série Zita de Van Imschoot nous confronte à la relativité de l’historiographie (iconique) où les gens, que ce soit par le biais d’une institution spécifique ou pas, sont catapultés dans l’histoire sans explication, en fonction d’une idéologie donnée, alors qu’ils ont probablement vécu, en réalité, totalement différemment, voire même adhéré à d’autres idéaux.
La symbolique érotisante de la légende de Zita qui s’est perdue – ou a-t-elle été évincée ?- sous l’impulsion catholique pour la vénération des reliques est d’ailleurs exacerbée d’une autre manière par Van Imschoot par l’adjonction de deux « Zita modernes », à forte connotation érotique. A première vue, tout au moins, car les corps féminins nus, parfaitement formés, qui sont peints sur ces toiles le sont avec beaucoup de réserve, dans des couleurs froides et avec un coup de pinceau fébrile. Par cette approche, Van Imschoot détourne la sensualité délibérée que de tels corps portent souvent en eux et la contraste avec la sensualité involontaire du culte corporel religieux, presque dément et nécrophile, que l’on retrouve dans l’ostentation exagérée du corps de Zita.
Ce mélange continu de différentes stratifications et références, en termes de contenu, allant du culte religieux spiritualisé du corps au presque pur érotisme moderne en passant par l’historiographie iconique, et gravitant continuellement autour des quatre balises que sont la religion, la folie, l’imagination et la métamorphose, est typique de l’œuvre de Jan Van Imschoot. Dans ses nouvelles séries de dessins, également présentées dans le cadre de l’exposition, il se focalise principalement sur l’un de ces thèmes entrelacés, celui de la folie, et lui confère à nouveau nombre de nouveaux niveaux de signification. La première série se compose de quatre dessins représentant chacun une maladie mentale : l’aquamanie, l’aspirotomanie, la cryptomanie et la grantomanie. Il s’agit toujours, en l’occurrence, de maladies mentales totalement fictives mais, surtout, inoffensives qui n’auront jamais un impact radical sur les malades et le monde ou la société qui les entourent. Van Imschoot attire ainsi l’attention sur le caractère complètement relatif de la folie et la manière dont cet état d’esprit est trop souvent et trop vite considéré comme anormal ou même dangereux par cette même société. Un autre dessin, portrait du célèbre artiste Antonin Artaud, représente de manière subjective mais nuancée les différents stades de la folie pour laquelle ce célèbre artiste fut enfermé dans une institution psychiatrique pendant une importante partie de sa vie. Dans cette série, la relativité de la folie, vue sous l’angle artistico-historique d’une douloureuse manière, est patente. Ou comment, sous la pression d’une image idéale imposée, l’une des figures marquantes de mouvements artistiques essentiels tels que le dadaïsme, le surréalisme et l’existentialisme menaça d’être balayée sous le tapis social...
Thibaut Verhoeven Avril 2006
© Jan Van Imschoot
Mirror Dance
Huile sur toile
120 x 160 cm
2006
"The recrystallization of a mental maiden-hood"
Pour sa seconde exposition à la Galerie Baronian Francey, Jan Van Imschoot (°1963, Gand) présente une nouvelle série de peintures et de dessins. La pièce maîtresse en est la suite « Recristallization of a Mental Maidenhood », une déclinaison de 15 peintures à l’huile dont le thème s’inspire de la légende miraculeuse chrétienne du XIIIe siècle autour de la sainte vierge Zita. Selon la tradition, Zita était servante dans la petite ville italienne de Lucca, en Toscane. Elle volait secrètement du pain à son employeur pour le partager avec les pauvres. Son maître, qui avait des soupçons à son égard, lui demanda un jour ce qu’elle cachait sous sa robe. Elle en tira alors, comme par magie, un bouquet de fleurs. Ce miracle, dit de la métamorphose du pain en fleurs, devint rapidement très populaire dans les milieux catholiques de l’époque et le corps de Zita fut exhumé, quelques années après sa mort, pour être exhibé comme relique dans l’église locale. A la surprise générale, le corps s’avéra miraculeusement intact, ce qui renforça encore le caractère extraordinaire de l’événement. Jan Van Imschoot est fasciné par le miracle de Zita depuis dix ans déjà – il peignit aussi une toile sur ce thème à l’époque – parce qu’il lui permit, selon ses propres dires, de thématiser le plus précisément possible ses quatre centres d’intérêt : la métamorphose, la religion, la folie et l’imagination. Ces piliers sont présents, en plus ou moins grande mesure, depuis longtemps déjà dans l’œuvre de Van Imschoot, sans pour autant en former le thème proprement dit. Il s’agit plus de lignes directrices que l’artiste se fixe et qui lui permettent de peindre, le plus librement possible, à contre-courant de concepts et/ou thèmes préalablement définis. Il en va de même de cette nouvelle série consacrée à Zita. Le sujet semble éminemment religieux mais ne l’est que très partiellement. Dans dix des douze toiles, le corps en bière de Zita apparaît nettement, peint à chaque reprise depuis un angle de vue légèrement différent et avec un coup de pinceau physique. Par ce traitement pictural délibéré, Van Imschoot ne dépeint plus sa Zita comme un symbole du culte religieux dément pour les reliques mais presque comme son contraire. Le corps est ici représenté comme une sorte de paysage humain, une ode appuyée aux qualités presque sculpturales et charnelles du corps humain. Avec cette interprétation, Van Imschoot brosse naturellement une nette référence à l’idée catholique originelle sous-jacente à la légende de Zita. La folie quasi lubrique avec laquelle l’Eglise adore, met en bière et vénère en principe de tels corps de saints est, en effet, en contradiction flagrante avec l’idéologie de pure spiritualisation de laquelle elle s’est réclamée tout au long de son histoire. La symbolique de la légende miraculeuse elle-même semble, selon Van Imschoot, correspondre à tout sauf à la vision spirituelle du monde de l’institution catholique qui vénère Zita en tant que relique. Le pain qui, dans l’histoire, se transforme miraculeusement en un bouquet de fleurs porte, en tant que tel, une forte symbolique érotique. Les deux sont, en effet, iconographiquement associés depuis des siècles, respectivement à la fécondité et à la virginité. Dans la représentation de Van Imschoot, les événements qui se sont joués entre la servante et son maître prennent aussi une dimension plus qu’universelle. A-t-elle séduit son maître ? Etait-elle enceinte (de lui) ? Autant d’hypothèses apparemment gratuites, issues du cerveau d’un peintre enthousiaste, mais qui recèlent, si l’on en prend la symbolique en compte, une « vérité » aussi forte que les interprétations iconographiques classiques des livres (catholiques) d’histoire. Dans cette optique, la série Zita de Van Imschoot nous confronte à la relativité de l’historiographie (iconique) où les gens, que ce soit par le biais d’une institution spécifique ou pas, sont catapultés dans l’histoire sans explication, en fonction d’une idéologie donnée, alors qu’ils ont probablement vécu, en réalité, totalement différemment, voire même adhéré à d’autres idéaux.
La symbolique érotisante de la légende de Zita qui s’est perdue – ou a-t-elle été évincée ?- sous l’impulsion catholique pour la vénération des reliques est d’ailleurs exacerbée d’une autre manière par Van Imschoot par l’adjonction de deux « Zita modernes », à forte connotation érotique. A première vue, tout au moins, car les corps féminins nus, parfaitement formés, qui sont peints sur ces toiles le sont avec beaucoup de réserve, dans des couleurs froides et avec un coup de pinceau fébrile. Par cette approche, Van Imschoot détourne la sensualité délibérée que de tels corps portent souvent en eux et la contraste avec la sensualité involontaire du culte corporel religieux, presque dément et nécrophile, que l’on retrouve dans l’ostentation exagérée du corps de Zita.
Ce mélange continu de différentes stratifications et références, en termes de contenu, allant du culte religieux spiritualisé du corps au presque pur érotisme moderne en passant par l’historiographie iconique, et gravitant continuellement autour des quatre balises que sont la religion, la folie, l’imagination et la métamorphose, est typique de l’œuvre de Jan Van Imschoot. Dans ses nouvelles séries de dessins, également présentées dans le cadre de l’exposition, il se focalise principalement sur l’un de ces thèmes entrelacés, celui de la folie, et lui confère à nouveau nombre de nouveaux niveaux de signification. La première série se compose de quatre dessins représentant chacun une maladie mentale : l’aquamanie, l’aspirotomanie, la cryptomanie et la grantomanie. Il s’agit toujours, en l’occurrence, de maladies mentales totalement fictives mais, surtout, inoffensives qui n’auront jamais un impact radical sur les malades et le monde ou la société qui les entourent. Van Imschoot attire ainsi l’attention sur le caractère complètement relatif de la folie et la manière dont cet état d’esprit est trop souvent et trop vite considéré comme anormal ou même dangereux par cette même société. Un autre dessin, portrait du célèbre artiste Antonin Artaud, représente de manière subjective mais nuancée les différents stades de la folie pour laquelle ce célèbre artiste fut enfermé dans une institution psychiatrique pendant une importante partie de sa vie. Dans cette série, la relativité de la folie, vue sous l’angle artistico-historique d’une douloureuse manière, est patente. Ou comment, sous la pression d’une image idéale imposée, l’une des figures marquantes de mouvements artistiques essentiels tels que le dadaïsme, le surréalisme et l’existentialisme menaça d’être balayée sous le tapis social...
Thibaut Verhoeven Avril 2006
© Jan Van Imschoot
Mirror Dance
Huile sur toile
120 x 160 cm
2006