Le Confort Moderne

Ann Craven

28 May - 24 Aug 2014

© Ann Craven
Moon (Magenta Moon, Cushing, 8-17-13, 10:10PM), 2013, 2013,
huile sur lin, 35x35 cm
ANN CRAVEN
Time
Du 28 mai au 24 août 2014

« Ann Craven est peintre, fondamentalement. Elle peint la lune. Parfois aussi des oiseaux, des fleurs, des biches ou des bandes de couleurs diagonales. Elle peint 400 lunes, non pas comme une éphéméride, mais comme si la lumière pâle de ce visage éternel appelait des êtres chers, lointains ou disparus, dans une rêverie nocturne où le pinceau serait maître de cérémonie. Les œuvres portent silencieusement cette charge affective. Puis l'artiste recopie ces mêmes lunes, pour tordre le cou à la revendication persistante de la peinture qui veut toujours faire son originale. Ce travail obstinément répétitif est empreint d'une grande intériorité spirituelle, une façon d'harmoniser la pensée, le corps, la respiration, à une pratique rigoureuse où peindre devient un temps fort du rythme physiologique de la vie. Elle peint des sujets désuets, car elle connaît la puissance symbolique des images qui nous accompagnent, même parmi les plus insignifiantes : les images sans contenu que gardent nos grands-mères, sans raison véritable, les bons points que l'écolier punaise fièrement dans sa chambre... Ses séries d'oiseaux ou de fleurs déclinent sans fin le rapport essentiel de la peinture entre le fond et la forme, la vibration de couleurs éblouissantes qui sont autant de signes du temps. Lorsqu'une couleur est appliquée, Ann Craven trace une diagonale sur une toile. Rien ne se perd, tout « fait peinture » et toute peinture est d'égale importance à ses yeux, qu'elle soit copie, originale, support de couleur, bandes abstraites, oiseaux sur la branche. »

François Quintin, « Une pensée pour Ann », in Ann Craven, shadows moon and abstract lies. Frac Champagne-Ardenne, Reims. JRP Ringier édition, Zurich 2009

Choisir un ensemble d'œuvres d'Ann Craven pour faire une exposition semble a priori simple puisque toutes les œuvres découlent d'un procédé identique, sont traversées par des motifs récurrents et partagent un style immédiatement repérable. On se dit que nous pourrions faire le choix aléatoire de réunir les œuvres par sujets, motifs ou encore par formats. On se heurte alors à la quantité exceptionnelle d'œuvres produites par l'artiste et l'on se dit que la seule exposition valable serait de tout réunir, de tout montrer. Là encore, problème, l'entrepôt-galerie n'est pas assez vaste... Une fois cette première hypothèse écartée avec regrets, nous avons choisi de mettre en avant plusieurs fondamentaux du travail d'Ann Craven : le temps, la profusion, le système et l'attachement.

Time
Une dimension fondamentale du travail d'Ann Craven réside dans sa capacité à s'inscrire dans le temps. Derrière chaque toile, on retrouve irrémédiablement les mêmes informations : année, mois, jour et même heure de réalisation des œuvres. Une tentative vaine de fixer le temps qui passe, de retenir des souvenirs qui s'évaporent, de ressentir à nouveau les émotions qui ont accompagné le pinceau. L'exposition réunit ainsi l'ensemble des œuvres peintes en 2013, accrochées dans leur ordre de fabrication. Cette chronologie objective structure en partie l'exposition.

Profusion
L'exposition réunit plus de 200 œuvres de l'artiste ; cela constitue sa plus importante exposition. Cet élément quantitatif ne peut être un argument critique, pourtant il permet de mieux comprendre l'intensité de ce travail, l'abnégation et la gourmandise de l'artiste et donne une dimension inédite à l'idée de série, primordiale dans son œuvre.

Un système sans faille
La peinture est souvent une histoire de système et celui mis en place par l'artiste est redoutable. Ann peint en série, des motifs pris sur le vif dans un premier temps comme ses lunes réalisées en extérieur dans son Maine natal. Ces premières œuvres constituent ce qu'elle nomme son laboratoire, soit un ensemble de peintures qui lui sert de réservoir. Ces peintures sont réinterprétées, recadrées, redimensionnées dans l'atelier pour faire émerger de nouvelles œuvres. La peinture utilisée est recyclée en bandes diagonales sur d'autres toiles et les palettes deviennent également peintures. Tout se recycle et crée une distance avec le sujet original tout en gardant sa mémoire. Une tentative de vider le sujet de son sens, de son histoire originelle, de le réduire à l'état de motif.

Une sympathie durable
Malgré l'entreprise systématique et la reproduction infinie de sujets a priori sans qualité, une sympathie durable s’installe envers les œuvres d’Ann Craven. Un attachement persistant opère devant chaque toile, comme si chacune de ses fleurs, de ses lunes, de ses oiseaux, de ses arbres nous renvoyait à un amour passé, une amitié disparue, un être cher à qui l'on pense avec nostalgie et bienveillance.
 

Tags: Ann Craven