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MARCUS STEINWEG
 

ABECEDAIRE DE LA CRUAUTE

ANTIGONE

S’il existe un mensonge antigonéen que ne calme ni l’amour pour Polynice, ni l’accomplissement de la loi divine, ni non plus l’envie de la simple rivalité avec Créon, il peut devenir nécessaire d’appeler ce mensonge amour du mensonge en général.

Une jeune fille folle et joueuse doit peut-être produire une image forte du mensonge, la colère et la conviction de cette folie doivent peut-être, depuis le début, être impliquées dans l’allégorie de l’amour démesuré. Aimer ne signifie peut-être pas autre chose que de mentir, aimer le mensonge d’amour. Il n’existe peut-être pas d’au-delà à cette idéologie originelle. Une infinité d’incertitude se rassemble devant l’autel du mensonge aimé. Le mensonge d’amour n’est pensable qu’en tant que surcharge. Il épuise toute vérité concevable, il est irréductible à une éthique quelconque, comme Lacan l’a montré, et se refuse à l’apaisement de la saine raison (la doxa). Elle coûte plus qu’on ne peut payer. On vit par ce mensonge une vie sans réserve et sans assurance. Une vie d’amour aux frontières de l’interdit. Seul et impatient jusqu’à la mortelle fin.

Antigone cajole ce mensonge, elle le prend avec elle. Elle embrasse et dorlote son mensonge, qui est à la fois enfant et amant solidaire. Qui a remarqué la nudité de la jeune fille qui se raccroche, dans son deuil, à son mensonge comme à son seul bien? Antigone survole son destin. Elle considère le fait qu’elle doit mourir. Il lui en coûte moins de vivre sans avoir aimé avec cette sorte de passion, qui est aussi bien folie et crime. Emportée complètement par elle et son mensonge, elle se donne à l’imprévisibilité de l’acte charnel. On devra suivre les traces d’un désir qui dirige sa violence contre elle-même, pour expérimenter son soi comme un inconnu qui n’est plus capable de différencier le mensonge de l’amour. On ne pourra pas se fermer au témoignage cruel de cet anéantissement de soi sans précédent. On répondra à la question de l’objet de l’amour par le “ mensonge ” et inversement. On reconnaît Antigone comme son propre mensonge d’amour et il en résulte sa démesure qui nous fait trembler.

Le mensonge est un tumulte autant que l’est l’amour. On se précipite sans savoir pour combien de temps encore et dans quelle direction. Cependant, Antigone n’est pas sans certitude. Sa mort est revêtue d’une évidence. Elle la trompe à travers son mensonge et le réalise en même temps. La mort d’ Antigone a une évidence mensongère. Que signifie l’évidence quand on parle de mort ?

Aimer Antigone veut dire aimer ce mensonge d’amour pour lequel son nom figure dans l’histoire de la littérature et de la théorie. Cet amour est lui-même littéraire. Elle produit sa propre loi singulière, sans aucun rapport avec l’opinion. Aimer le mensonge d’amour est un acte de stylisation de soi . L’enjeu vaut pour l’effort de fondation et la conservation d’une fiction qui ne rapporterait qu’à elle-même.

On a combattu cette forme de production de sens parce qu’elle est idéologique. Mais Antigone pouvait représenter un problème aussi préoccupant. On doit comprendre qu’Antigone est nue. Sa NUDITE décide de la question d’une nouvelle acception de L'UNIVERSALITE, de la SUBJECTIVITE, de la politique et de l’éthique et de leur rapport à la VIOLENCE. L’intensité de l’amour antigonéen peut être vu comme un indice de son abandon relativement à la liberté, qui est liberté absolue, plutôt imprécation qu’élément heureux.

Le tumulte du mensonge se saisit de la jeune fille sur la crête de l’abîme, qui est l’abîme de sa LIBERTE et de sa nudité. Posé sur lui, Antigone se décide en faveur d’un mensonge qui consiste en l’amour de la décision. En faveur de quoi se décide Antigone? Pour la décision. Qu’aime Antigone? L’amour. C’est comme l’enfant du grand jeu (Weltspiel) duquel parle Heidegger dans sa confrontation avec le 52ème fragment d’Héraclite. Pourquoi l’enfant joueur joue sur l’abîme? “il joue car il joue,” – Il n’a pas de raison.

Antigone est “ omos ”, dit le chœur sophocléen. Ce que Lacan traduit par inflexible et ce qui d’abord est cru, non cuit, mais veut aussi dire sauvage et cruel, sans ménagements, insoumis, entêté, abrupte et barbare.

Qu’elle se refuse à ne pas agir, à n’être pas sujet, la rend protagoniste d’une CRUAUTE BOULEVERSANTE. Au côté de cette cruauté et de sa relation à la SOUVERAINETE et au DEVENIR, à la grâce et à la beauté, questionner la responsabilité du SUJET ANTIGONEEN appartient à l’essentiel de l’exigence antigonéenne de la philosophie.


BIPOLARITE

On doit quitter la bipolarité, la MACHINE BINAIRE, pour penser les bipolarités. La singularité, comme sujet de la ligne, qui n’est ni pure lignée ni pure ligne de fuite, n’est ni un sujet européen de la profondeur, de l’origine, des racines (du logos), et pas davantage de la singularité américaine de l’étendue, de l’horizon nu, de l’avenir des individus ou de la communauté d’un pur être d’avenir. Elle ne s’enterre pas non plus dans la tombe d’une origine qui se retire (dans la tombe de l’intériorité), ni encore se rend en tant qu’instance de décisions rapides dans l’austérité d’un extérieur simple. La singularité, qui cependant est un sujet, se refuse au narcissisme européen de l’expérience de soi, à sa larmoyance, à son embarras introspectif, comme également au pathos de la détermination américaine pour prendre sa propre forme de mouvement et d’action dans l’en-dehors réel de la zone d’interférence ou de contact Amérique-Europe.


COURBE DU DEVENIR

Les singularités sont des sujets de la ligne. Elles s’arrêtent sur la courbe de l’indétermination la plus grande. C’est la courbe du devenir, la courbe de la déterritorialisation, de la ligne des mutations, des mouvements incontrôlés. Ligne d’une déviation originaire, d’un courant, d’un clinamen, qui laisse ouvert l’espace d’événement et de mouvement d’une singularité concrète (même si elle est indéterminée). C’est la ligne vitale d’un sujet sans subjectivité. Sans identité, les singularités dansent sur cette ligne d’indétermination, ne se laissant mesurer ni en leur point le plus haut ni au plus bas. Les singularités ne sont pas mesurables, on ne peut les mesurer, elles sont incommensurables.


DOXA

La DOXA est le mot pour une OPINION, ce qui est différent d’une vérité. Il fait partie de la doxa le fait qu’elle se donne pour vérité. La doxa semble être une vérité. Elle est illusion réelle, une illusion fonctionnant dans la réalité, qui recouvre le contact avec le réel. Elle est VERITE DE FAITS, afin de ne pas être VERITE DU REEL. La doxa est aussi le nom du simple intérêt.


EXPERIENCE

Être sujet signifie s’expérimenter comme sujet d’une expérience. Le sujet est la scène d’une expérience de soi durant laquelle il transporte ses limites, les conditions de possibilités de son soi, afin de se constituer comme une sorte de courbe fébrile, comme sujet d’une certaine fièvre, de l’intranquillité absolue du devenir.

Dans son entretien avec Ducio Trombadori (1978), Michel Foucault dit qu’écrire un livre signifie faire une expérience: une expérience. Une “ expérience individuelle”, comme il dit également. Qu’est-ce qu’une expérience, surtout dans le sens français (expérience peut être traduit en allemand par “ Erfahrung ” et par “ Experiment ” )? Elle “ est quelque chose dont on sort changé. ” C’est pourquoi le sujet de cette expérience est sujet du CHANGEMENT, du devenir, d’un incident, d’un événement, d’une mutation toujours troublante.

Le sujet de l’expérience est un sujet-mutant, sujet de mutations qui semblent faire de lui quelque chose de nouveau en le rendant objet d’une certaine “ dé-subjectivation ”. Foucault le voit chez Maurice Blanchot. L’expérience “ chez Nietzsche, Blanchot, Bataille ” servirait à ce que “ le sujet s’arrache à lui-même de telle façon qu’il ne soit plus lui-même ou qu’il soit porté vers sa destruction, vers sa dissolution ”. C’est le sujet – si l’on veut continuer à l’appeler sujet – d’une “ expérience limite ” consistant “ à parvenir à un certain point de la vie, duquel le non-viable est aussi proche que possible. ”


FAITS

S’appuyer sur des faits signifie prendre des précautions contre la possibilité de vérité en insistant sur son impossibilité. Les faits sont des NIN-VERITES que l’on invente pour handicaper les vérités. Des sujets, qui ne veulent pas être sujets, s’appuient sur des faits. Les sujets-faits sont sujets d’une continuelle désubjectivation de soi. Le sujet-fait se rapporte à lui-même comme à une chose, à un objet, un factum immuable. C’est le sujet d’une impuissance volontaire. C’est le sujet de la PEUR. Il fuit la nécessité de se décider en faveur d’une vérité, donc contre les “ faits ”.


INDIENS

Le sujet a fait du DEVENIR-INDIEN une exigence absolue. Deleuze et Guattari ont décrit comme déterritorialisation la LIGNE DE FUITE, sur laquelle il chevauche à la vitesse infinie de son avenir indéterminé. En tant que mouvement qui touche au rien, l’infini chaotique de ce qui, sans pouvoir devenir jamais objet de communication ou quelque lien intime, déploie l’autorité d’une absence intensive et de sa présence problématique. On pourrait dire de ce mouvement qu’il délivre le sujet métamorphosable (le sujet du dépassement de soi et de l’auto-transformation) des contraintes de sa subjectivité anamorphique, pour l’abandonner “ à la vacuité profonde de ces “ frontières ”, “ ce qui ne commence jamais et ne finit jamais ”: l’abîme des cœurs de la raison universelle.

“ Devenir nègre, devenir indien, en écriture, signifie parler comme un peau rouge ou comme un nègre, donc employer un jargon. Devenir un animal, en écriture, ne signifie pas imiter l’animal, le “ singer ”. [...] En écrivant, on donne toujours chaque texte, à ceux qui n’en ont pas, comme ceux-ci donnent un devenir à l’écriture, sans que cela ne soit rien ou la pure redondance au service des forces établies. ”


JEUNE FILLE

Blanchot a décrit l’acte de ce CONTACT souverain de L'INTOUCHABLE en tant qu’insistance de toutes jeunes filles dont la décidabilité est indubitablement au moment d’un “ mouvement qui la porte au milieu de la nuit vers un inconnu et délivre sa pitié. ” Un “ geste précautionneux ” qu’elle réussit à exécuter de la manière “ la plus vraie et la plus juste ”. La grâce d’une traduction valable, qui veut valoir comme exigence immense ou exigence de l’extérieur. Moment, dans lequel une JEUNE FILLE se perd dans les nécessités de la nuit afin de s’ouvrir à son propre désir, ce qui lui permet de pénétrer une zone au-delà de l’ordre établi. Touchant à la limite du sens, L'ART EN TANT QUE JEUNE FILLE suspend la logique des lois et la dictature des interdits. Le dépassement doit se dépasser soi-même afin d’ouvrir l’espace d'une subjectivité libérée. Le sujet de cette liberté est le SUJET DE L'ART.


LUMIERE

C’est l’obscurantisme de la lumière, un trop de lumière qui enchaîne le logos à un principe d’évidence qui lui procure l’illusion d’une identité raisonnable. Comme si le logos n’était pas en même temps, et n’avait pas toujours été, le principe du manque de principes. Comme s’il ne “ savait ” pas dès le départ qu’il est né d’un non-savoir radical qui échappe à sa souveraineté. Comme si la clarté proprement dite, l’autre évidence, de la raison occidentale n’était pas justement le fait qu’elle se précipite vers un soir, un crépuscule et une nuit, sans pouvoir encore comprendre la raison ou l’abîme de cette accélération. La raison occidentale surgit de la nuit de ce non-savoir élémentaire pour se plonger dans la nuit d’un avenir aussi obscur et aussi imprévisible que sa propre origine.

Dans la mesure où elle est considérée comme un événement européen, – l’événement d’une CULTURE DU LOGOS vieille de 2500 ans - la philosophie s’est toujours associée à la lumière, au soleil platonicien, au lumen chrétien, à la Aufklärung, aux Lumières ou à l’Enlightenment, à l’évidence husserlienne et à la clairière (Lichtung) heideggerienne. La philosophie a été dès le départ la métaphysique de la lumière.


MONDE

Les singularités sont des « guerriers », disent Deleuze et Guattari. Elles enfourchent une MACHINE DE GUERRE. Elles constituent la communauté des singularités-guerrières, qui combat la guerre camouflée en paix. Elle combat au nom d’une paix qui n’existe pas encore. Cependant, son combat au nom de l’impossible paix n’est pas lui-même impossible. Se battre pour l’impossible peut être nécessaire et justifié. Afin d’entrer en contact avec l’impossible paix pour s’en faire une image, la communauté des guerriers doit traverser, analyser et dépasser toutes les illusions et trompe-l’œil de la paix. Elle doit montrer à quel point la paix est peu pacifique dans un MONDE SANS DEHORS. Les guerriers sont guerriers de ce monde-là. Ils sont sujets de l’immanence, sujets du chaos et de dehors irréductible dont parle Blanchot. Leur guerre a lieu ICI ET MAINTENANT. Elle traverse le corps de chaque guerrier, elle le transperce avec des affects. Car cette guerre n’est pas une guerre entre autres guerres. Elle plonge au cœur des systèmes des raisons ontologiques. C’est une guerre qui “ habite le logos philosophique ”.


OSCILLATION

L’ INDIVIDUALISME est, comme chacun le sait, le conformisme du monde capitaliste. La communauté-pathos (tout comme la communauté-logos) n’a rien à voir avec l’ accomplissement ésotérique de soi et avec une sentimentalité sans fond. Elle se projette comme contre-modèle d’un sujet-logos nostalgique. Dans la perspective du sujet de l’héroïsme des singularités, la singularité est mensongère aussi longtemps qu’elle se donne comme contre-modèle strict du modèle-identité. La communauté des nomades se meut au sein de ces alternatives qui résultent d’une simplification stratégique. C’est pourquoi elle se donne la peine, comme le dit Richard Rorty, “ de maintenir le pendule en mouvement. ” Car “ Hegel souligne avec raison le fait que les oscillations de ce pendule sont les mouvements mêmes de l’esprit. ”


PEUR

Le nihilisme est la religion du négatif, “ religion des faibles ”, des mauvais sentiments, de la dépression et de la peur. Combattre le nihilisme signifie donc être moins religieux, moins peureux, plus athée et anti-chrétien que le nihilisme. Car la peur religieuse fuit la peur de la liberté, la peur du sujet responsable d’être complètement responsable de soi relativement à la neutralité de l’étant. L’existentialisme athée de Sartre, qui reprend des thèmes centraux de Kierkegaard, de Jaspers et de Heidegger (peur, liberté, choix, séparation, solitude ou confiance etc.), a désigné cette peur de la peur comme la caractéristique du nihilisme de l’irresponsabilité : “ La plupart du temps, nous fuyons la peur dans l’insincérité ”, c’est-à-dire que nous fuyons la peur ou le vertige de la liberté dans la peur (insupportable) de cette peur.


REEL

Le réel est plus réel que la réalité. C’est ce qui inscrit une INCONSISTANCE ESSENTIELLE dans le calcul “ réaliste ”, dans l’économie de la doxa. Le contact avec le réel est contact avec cette inconsistance, le point faible de ce système de faits. L’art se refuse de participer à ce recouvrement dans l’espace de recouvrement du réel, en cherchant le réel pour le toucher. L’art résiste à l’imaginaire du monde des faits tandis qu’elle tente de donner forme à ce contact. En ce sens, l’art est la tentative de l’impossible. Car le réel, la vérité, est L’INTOUCHABLE. Il marque la frontière de toute compétence.


SURVIE

La démocratie se survit à elle-même, à sa propre impossibilité. Il y a là quelque chose au cœur de la démocratie, qui à la fois la rend possible et l’entrave. La démocratie n’est peut-être rien d’autre que cette possibilité de soi par l’entrave à soi. Elle est processualité d’auto-référence subversive à soi. Ce devenir, l’événementialité et l’histoire de cette AUTO-ELEVATION NON-IDENTITAIRE, n’est rien qui la relierait avec un idéal, une utopie ou une idée régulatrice. La permanence de l’affirmation de soi auto-aggressive est la VERITE de la DEMOCRATIE.


UTOPISME DE LA VERITE

La VERITE n’est pas fondée par l’art et par la philosophie. La vérité se laisse seulement affirmer. La vérité ne peut être fondée. La vérité se manifeste lorsque le sujet se détache de L'ORDRE SYMBOLIQUE, de son intégrité socioculturelle aussi bien que des fantasmagories de l’imaginaire. Il y a vérité au moment où la philosophie et l’art (au côté d’autres formes d’affirmation, la science par exemple) touchent à L'IMPOSSIBLE (la virtualité pure ou le chaos) prenant ainsi le risque du dépassement d’horizon. La philosophie et l’art doivent affirmer ce contact, qui est le contact même à la vérité. Elles accomplissent ce mouvement et le défendent. La philosophie et l’art sont des formes de réalisation de vérités qui ne préexistent pas. Il ne s’agit pas de trouver, dévoiler et décoder des vérités. Il s’agit de les découvrir : produire des vérités ! Une telle vérité, dans la mesure où elle est le produit d’un sujet de l’affirmation, n’est donc pas relative au sens strict. La philosophie et l’art affirment la vérité – par l’affirmation de la forme, l’art affirme la vérité – en se retirant du relativisme des vérités de faits et du régime de la preuve et de la garantie argumentative, qui sont sous-jacents aux faits.

La philosophie et l’art n’affirment aucun fait. Elles constituent les vérités qui corrompent l’ordre des faits. Le lieu de la vérité ne peut être celui de L'UNIVERS DES FAITS. C’est l’utopisme de la vérité, vérité folle en tant que telle. Elle fait exploser le REGISTRE DES FAITS. Elle insiste sur un lieu non répertorié dans ce registre et dans la topologie qu’elle représente. Car la vérité est le nom de l’effondrement des systèmes de vérité, des institutions de vérité et des archives de vérité, prises en charge par l’administration des vérités de faits. La vérité est un excès. Elle marque le point d’une intranquillité démesurée. Et le contact de la vérité, faisant le désir de vérité de l’art et de la philosophie, est le toucher sans repos de l’intouchable. Il n’y a philosophie et art qu’en tant que ces excès.


VISAGE

Le sujet détériore sa subjectivité et provient d’elle. Il revient à lui-même sans se reconnaître car il est devenu anonyme, il n’a plus de visage. Comme une sorte de fantôme, il varie les modalités de son apparence, il en change les routes, chevauche la ligne de sa virtualité de haut en bas. “ Galopant dans l’air”, le sujet est accroché au dos d’un cheval qui n’existe même pas. Il se crée un niveau comme un océan impossible, qui n’existe pas. Et il reste ainsi en mouvement, comme s’il trouvait dans l’absence de quiétude son être.


ZONE DE L'ACTION

La communauté des actifs est la communauté de sujets de puissance singuliers qui, à la recherche de motifs inconnus pour la communauté, s’associent en collectivité, la vérité de chaque singularité dépendant de la vérité d’autres singularités.

Et pourtant cette vérité n’est pas un principe de communauté supérieur comme l’est la subjectivité transcendantale de l’idéalisme universel du nous. Le nous de la MULTITUDE est un nous quelconque. Quelconque au sens d’AGAMBEN : le quelconque comme “ symbole de la pure singularité ”. Car le nous des singularités, la multitude, est lui-même une singularité au lieu d’en être la contradiction. La communauté des singularités d’action est un vide absolu, une indétermination totale. Elle est le rapport avec ce DEHORS (implicite), le “ rapport avec une totalité vide et indéterminée ”, ce que Deleuze appelle l’ “ immense et terrible vide ” des âmes océaniques : le corps des sujets de l’instinct, dépourvus de qualités, qui colonisent la zone hyperboréenne du devenir, la ZONE DE L'ACTION, du changement et de la découverte. La communauté des actifs est la communauté d’activité de natures singulières qui se définissent par rapport à l’abîme du possible.

La communauté d’action des singularités se constitue en communauté active de sujets du changement. Changement signifie déstabilisation, remise en question, destruction. Ce que BENJAMIN appelle le CARACTERE DESTRUCTEUR est le SUJET DE L'ACTION sous sa forme pure.