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MARCUS STEINWEG
 

AMOUR, LIBERTE, PAUVRETE ONTOLOGIQUE, DÉPENSE

SWiss-Swiss-Democracy Journal
Exhibition THOMAS HIRSCHHORN, CCS, Paris 2004 / 05
Le sujet de l’expérience de la liberté, de la responsabilité et de l’extériorité est sujet de ses passions. Sujet des affects, des courants, des vagues et des intensités. SUJET DE L'AMOUR et du frémissement. Il vit une émotion dérangeante, violente.

Le sujet touche à ce qui le dépasse, il sera secoué par ce trop plein de toucher. Il se déplace le long d’une frontière. Il erre aux limites d’une PURE PERTE. L’expérience d’un dénuement complet appartient à la subjectivité. Le sujet de l’expérience expérimente sa PAUVRETE ONTOLOGIQUE, son essentielle absence de domicile, les signes de son ouverture à l’indéterminé, celui-ci étant non encore décidé.

C’est pourquoi il est nécessaire de distinguer ce sujet du SUJET DU NARCISSISME, la plainte geignarde de soi et l’intériorité larmoyante. Ce sujet ne veut pas être sujet, il veut être OBJET DES CIRCONSTANCES, d’affects étrangers. Le sujet du narcissisme est sujet d’une fermeture de soi sensible, SUJET DE L'IMAGINAIRE. Il fuit la résistance et l’imprévisibilité de la réalité. Afin de ne pas échouer réellement, il échappe à la DIMENSION DU REEL. Il veut habiter son propre monde au côté du réel. Le monde narcissique est l’univers du paraître, des illusions et de l’affirmation de défense. Il se partage en ROYAUME DU SIMPLE REVE et en un ORDRE DES FAITS NUS. Les “ idéalistes ” et les “ réalistes ” sont également sujets d’une illusion qui résiste au réel.

Le sujet de l’expérience se distingue du sujet du rêve et du sujet des faits, parce qu’il abandonne l’attache sensible de l’intérieur, afin de rencontrer du neuf au CONTACT AVEC LE DEHORS qui ne laisse pas intacte sa forme actuelle. L’expérience en tant que telle aura toujours été l’événement d’un certain toucher, contact ou blessure.

Tandis que le SUJET NARCISSIQUE effectue sa saisie à l’échelle de la FERMETURE IDENTITAIRE DE SOI (afin d’empêcher ou de refouler une blessure factuelle), le sujet de l’expérience est laissé à la facticité de la douleur même sans se rendre passif par rapport à la douleur. Le SUJET DE LA DOULEUR doit s’élever au-delà de la douleur sans l’aiguiser ou la nier. C’est le sujet de l’amour, du contact passionné avec l’intouchable. Il perd et se constitue dans ce contact. C’est le contact avec le non-contactable, l’événement d’une dés-individualisation radicale de soi dans lequel le sujet se constitue comme sujet de la dépense de soi.

Aimer signifie devenir fou, partir dans le désert d’une instabilité valide et affirmer ce déplacement de L'OASIS DE LA RAISON au DESERT DE LA DERAISON en tant que sa vérité, en tant qu’un événement-vérité. Le moment de la katastrophé (du répit, de la folie, etc.) est le moment de son assentiment par le sujet de l’amour, qui se (re)connaît dans sa folie constitutive. Afin d’aimer, il est nécessaire d’avoir le COURAGE DE LA FOLIE. Ce minimum de consistance est nécessaire, de s’affirmer en tant que soi de la folie et par cette affirmation risquer son soi, mettre en jeu son soi, qui aime.

Le point commun des amants est la participation à la limite qui les sépare l’un de l’autre. Il est communauté de limites et de différences. Les amants sont des voisins. Ils aiment l’autre en articulant leur différence absolue sur un territoire partagé. L’amour est le dépassement de soi d’un sujet relativement à un autre sujet dont il blesse également l’altérité. Les sujets de l’amour ne veulent pas se reconnaître dans un autre sujet. L’histoire de l’amour n’est pas une histoire de retour. Le non-identique est un autre nom pour l’abîme de l’amour. L’amour est essentiellement sans abîme, sans fond. Elle ébranle le système des raisons et laissent advenir une sorte de couple-sujet, les singularités abyssales de la communauté-amour.

Le tragique de l’amour ne décrit pas leur parcours. Au sens où l’on dit qu’une relation se termine tragiquement. Elle est l’origine du mouvement d’amour en tant que mouvement d’éloignement de soi réciproque. Les SUJETS DE L'AMOUR s’affirment en commençant à perdre chacun son soi, son ancienne identité, pour entrer dans la réciprocité de l’éloignement de soi dans un nouveau lien d’amour et un nouveau rapport de soi. Le mouvement d’amour est le mouvement-couple commun de singularités aimantes, qui n’unit rien d’autre que sa volonté d’aimer et sa décision en faveur de l’autre.

Les amants sont unis en étant désunis. Le caractère de réalité de l’amour est cette désunion, cette DISPUTE. L’amour repose sur la dispute, sur le POLEMOS DE L'AMOUR. Elle est “ Austrag ” (“ règlement ” selon Heidegger) d’une différence absolue, d’une différence irréductible: l’événement même en tant qu’amour, en tant que diaphora. Le sujet de l’amour ne peut être saisi que comme sujet de cette controverse. Il doit permettre l’autre en tant que limite absolue de soi, afin de parvenir au plaisir d’une vraie intensité de l’amour c’est-à-dire prolongement de soi non-narcissique dans l’autre.

Les amants sont des séparés. Ils ne sont pas comme les hommes-boules coupés en deux du Symposion de Platon. Ils sont séparés originellement. Ils ne furent jamais un. Ils ne complètent jamais l’autre, comme l’exige une convention un peut idiote. Le sujet de l’amour aime ce qu’il n’est pas. Son désir se dirige vers un être de l’être de la différence distinguée de l’autre aimé. Il est inscrit également une certaine indifférence dans le désir de la différence. En se décidant pour l’autre, il efface la valeur de son altérité sans neutraliser par là sa réalité. L’amour signifie être indifférent envers des différences concrètes (des particularités identitaires). L’amour n’est rien d’autre que cette affirmation indifférente d’une égalité qui paraît se balancer au-dessus de différences réelles. Le fond de l’amour est absence de fondement : le sujet de l’amour se meut à la frontière du dicible, il n’a pas d’alibi, il ne peut s’expliquer, il est SANS ARGUMENT.

La communauté des amants est la communauté-chaos de sujets, qui touchent L'ABIME DE L'AMOUR – la limite de la parole – . Toucher le chaos signifie contacter la profondeur de ce qui n’a pas de fond. Les sujets de l’amour échangent des regards et des attouchements sur fond d’absence de fond. Ils assurent l’autre en s’alliant avec la conscience de l’insécurité partagée. Aimer veut dire tenir aux dangers d’une INCERTITUDE ONTOLOGIQUE, qui saisit l’être des amants. L’absence d’un ou des amants appartient à la réalité de l’amour, comme étant son présent. Le sujet de l’amour doit accéder à l’être aimé étranger “ dans son étrangeté et sa distance ”. Il protège, dans cette “ vive proximité ”, à cet être une sorte de distance transcendantale (rendue possible par l’être, l’altérité de l’autre).

La proximité de l’amour, qui s’exprime dans la communauté des amants, est « vécu-distance », qui appartient à l’expérience de l’altérité. C’est la VIOLENCE DE L'AMOUR, la pression particulière qui témoigne de toute singularité de l’amour. Le point commun de l’amour n’est pas l’accord, la complétude, l’économie. L’harmonia des amants est le CONFLIT, qui fulmine en la fille d’Ares et d’Aphrodite, entre la GUERRE et L'AMOUR. Le cosmos de l’amour est trop divers pour être mélodieux comme un beau bijou. L’univers des amants paraît aussi vieux que l’univers lui-même. L’univers, si nous nommons ainsi la totalité de l’être dans son incommensurabilité, n’est pas le cosmos. C’est le CHAOS DU DEVENIR: scène d’une multiplicité irréductible de mouvements et d’événements, qui ne totalise aucun concept.

Dans ce théâtre, les amants se touchent comme des étrangers : comme si le sujet plongeait avec un doigt dans le vide. Là où est l’autre, il n’y a rien. C’est l’altérité absolue, l’impossibilité même de le toucher. Toutefois, l’amour se distingue complètement de la non-adoration du nihilisme. Car le rien de l’autre, qui touche à l’amant et commence à cajoler, est son être. L’autre n’est rien sans être vain. N’être rien signifie être tout : pure indétermination, virtualité parfaite.