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MARCUS STEINWEG
 

DEMOCRATIE EN TANT QU'EXCES 3

Le SUJET DE LA DEMOCRATIE (dans la mesure où nous le distinguons d’un sujet démocratisé) est SUJET HYPERBOLIQUE DE L'AMOUR DE LA VERITE. Il aime, il affirme et défend une vérité, qui fait tournoyer son identité objective (sociopolitique, culturelle, etc...). C’est cela qui le distingue du SUJET POLITIQUE DE L'OPINION : il se refuse au confort et à la sécurité de la doxa dans l’affirmation aimante de la vérité. Car la vérité, qui se porte garante de ce sujet, est tout sauf certaine. La CERTITUDE n’existe qu’au côté de la doxa, de la SAINE RAISON HUMAINE et de ses images du monde et de soi toujours conservatrices.

Ce qui distingue la vérité de la certitude, c’est qu’elle est folle. L’espace de la vérité, de la DIAPHORA, de L'INDIFFERENCIABILITE, du CHAOS, est l’espace d’une FOLIE IRREDUCTIBLE, primordiale à laquelle le sujet est originellement abandonné. Être sujet signifie se mettre en relation explicite à cette vérité, qui “ est ” à la fois non-vérité, LETHE (oubli) aussi bien ALETHEIA (dévoilement). C’est cet “ aussi bien ”, cette simultanéité et cette égalité ou cette origine identique de la vérité et de la non-vérité ”, qui tient, dès le début, le sujet en haleine. Le sujet de cette simultanéité monstrueuse est de ce fait un SUJET DE L'INQUIETUDE. Il vit son être comme scène de l’association conflictuelle du non-associable, de la compossibilité de la mort et de la vie, du début et de la fin, de l’origine et de l’horizon.

Les affirmations [] et les amours de la vérité adviennent quand le sujet prend sur lui le fardeau de cette compossibilité, sans être passif par rapport à cet héritage ontologique. C’est le drame de cet héritage qu’esquivent les sujets de l’opinion en privilégiant la certitude sur la vérité. Car insérer cette préférence ontologique dans la certitude revient à laisser pénétrer le phantasme d’une harmonie à la place de tout conflit originel. La certitude coopérera toujours avec une sorte d’obscurantisme de l’apaisement de soi. Elle est en coalition avec la tendance la plus angoissée, sentimentale ou simplement mystificatrice du sujet de l’opinion, pour tout faire afin de substituer à l’expérience troublante de l’indécidabilité (c’est-à-dire de la vérité, qui est à la fois non-vérité) par toute sorte d’idylle construite, une métaphysique de l’apaisement de soi.

Le SUJET DE LA DEMOCRATIE est SUJET D'INQUIETUDE. Une “ inquiétude non critique ” pour reprendre une expression de Derrida. Pourquoi “ non critique ” ? Parce que la critique reste liée à la BONNE CONSCIENCE de la CONSCIENCE DEMOCRATISEE, contrairement à la déconstruction par exemple, à L'HYPERCRITIQUE DECONSTRUCTIVE. Le sujet démocratisé est le sujet critique de la remise en question et de l’interrogation, à commencer par lui-même.

Le sujet de la démocratie par contre, tant que nous l’associons à une certaine déconstruction, à un certain processus d’auto-dépassement excessif ou hyperbolique, est sujet d’inquiétude, de CRITIQUE DE LA CRITIQUE. A la différence de la critique, l’inquiétude est AFFIRMATIVE, positive. Au cœur de la critique, il y a cet accord originel avec l’objet, sans que l’inquiétude ne s’assimile pour autant à l’objet de son inquiétude.

L’inquiétude maintient son sujet dans une dimension sur laquelle aucune critique et aucune négativité n’ont de prise. Le sujet de la démocratie garde ce contact soucieux et toujours excessif avec le NON-DEMOCRATIQUE, une sphère donc dans laquelle la possibilité, la légitimité et l’efficience de l’objection critique, du dialogue et de l’explication dialogique n’existent plus. Au contact de cette SPHERE DU NON-VERBAL, le sujet de la démocratie doit satisfaire à une positivité irréductible, à un OUI FONDAMENTAL. Une affirmation qui, comme le disent Heidegger et Derrida, correspond à un consentement radical : “ ce n’est pas l’affirmation dogmatique qui résiste au questionnaire, mais un “ oui ” permettant qu’une question se pose, qu’une question s’adresse à quelqu’un, (...). ” Un “ oui ” du consentement radical, dépassant les limites de toute négation et de toute question, une reconnaissance devançant toute acceptation.

Le SUJET DEMOCRATISE est ce qui exclut l’excès dans les domaines du non-verbal, du NON-LOGOS. Il se constitue par le rejet critique de l’éventualité de ce “ oui ”. Il qualifie d’hyperbolisme malsain toute référence à une telle affirmation, qui ouvre alors la porte à la critique, un hyperbolisme dans lequel le sujet se prive de sa capacité à faire la différence entre le raisonnable et l’irraisonnable, entre le sensé et l’insensé. Et c’est justement ce qui caractérise le SUJET DE LA DEMOCRATIE et ce qui le distingue du sujet démocratisé : à aucun moment le sujet de la démocratie ne renonce à cette inquiétude hyperbolique, à la DERAISON ELEMENTAIRE d’un auto-dépassement qui épuise toute certitude, suite à l’expérience de sa propre impossibilité. La démocratie n’existe qu’en tant que positivité d’une inquiétude non-critique en ce qui concerne le contact avec la dimension du non-démocratique dans lequel la raison reste livrée à L'EXAMEN DE LA NON-RAISON.

Le “ oui ” à la démocratie doit calculer avec l’incalculable : il ouvre le sujet à la dimension de la « fermeture-démocratie », à l’autre de la démocratie, qui est toujours aussi l’autre d’une certaine liberté, d’une certaine égalité et d’une certaine fraternité. L’autre pousse à penser la liberté, l’égalité et la fraternité autrement: en tant que réalités, qui compromettent nécessairement la valeur-idéal de ces concepts.

L’autre de la démocratie est ce qui menace L'ENFERMEMENT NARCISSIQUE DE SOI au sein d’une bonne conscience politique. C’est la raison pour laquelle le sujet de la démocratie s’affirme comme résistance au sujet démocratisé : parce qu’il est sujet d’un assentiment, qui interrompt toute complaisance à soi (que ce soit celle de la conscience critique, que ce soit celle de la dogmatique consensuelle, ces derniers, on le sait, vont de pair).

Le “ oui ” à la démocratie – Derrida ne cesse de le rappeler – affirme la démocratie en tant que quelque chose d’autre, en tant que ce qui déchire l’horizon de l’attente, en restant à venir, tandis qu’il arrive en tant que tel dans cet à venir permanent. Ici-et-maintenant.

Le DIRE-OUI fait nécessairement référence à ce qui vient. Même quand, justement quand le à-venir advient précisément. Quand il “ est ” en tant qu’événement ici-et-maintenant. C’est l’affirmation d’un avenir toujours déjà arrivé et toutefois à venir, qui unit l’affirmation de cet événement (de la démocratie à venir) avec le “ oui ” nietzschéen au L'ETERNEL RETOUR DU MEME (à ce qui vient toujours en tant que chose passée du nouveau, en tant que nouveau).

Dans tous les cas, le “ oui ” est lui-même une action car il touche à un avenir extraordinaire, l’extrême de ce qui est à venir sans neutraliser sa puissance. Le “ oui ” ne parle pas seulement, il ne “ théorise ” pas. Il intervient dans la texture de la sphère objective de faits. Il n’y a “ oui ” uniquement en tant que VIOLENCE D'INTERRUPTION. Une sorte de hoquet, qui interrompt le cours normal des choses, leur fonctionnement réglé, la rythmique de sa légitimation. Le “ oui ” génère une pause incommensurable, une hésitation absolue (irréparable et inabrogeable) au cœur de L'ORDRE POSITIF DES CHOSES. Il agit en parlant.

Dans la mesure où elle est considérée comme un événement européen, – l’événement d’une culture du logos vieille de 2 500 ans - la philosophie s’est toujours associée à la lumière, au soleil platonicien, au lumen chrétien, à la Aufklärung, aux Lumières ou à l’Enlightenment, à l’évidence husserlienne et à la clairière (Lichtung) heideggerienne. La philosophie a été dès le départ la METAPHYSIQUE DE LA LUMIERE: de l’éclair générateur d’Héraclite, Platon et le néo-platonisme de Plotin, Proklos et Prosyphyros, en passant par Saint-Augustin, jusqu’à Robert Grosseteste, Roger Bacon, Bonaventura et Albertus Magnus, pour finalement dominer à partir de la fin du Moyen Age l’ensemble des Temps Modernes, les métaphysiques de L'AUTO-TRANSPARENCE COGITALE, de la recherche de la CERTITUDE APODICTIQUE, de l’auto-justification ou de l’auto-fondement dans l’évidence de la conscience. Comme si le SUJET OCCIDENTAL, dès l’aube de son existence, avait toujours été soumis à la dictée d’une lumière qui le pousse à s’articuler en concepts d’évidence, de clarté, de visibilité ou d’ouverture (Erschlossenheit).

Et pourtant il est clair que, dans toutes ses phases diverses, le SUJET DE LA LUMIERE est en contact permanent avec une obscurité qui assombrit la lumière de l’évidence, de façon plus ou moins manifeste ou plus ou moins consciente. Le sujet de la lumière en tant que tel est accompagné de la menace d’une OBSCURITE ABSOLUE. Il pressent ou ressent l’activité de cette obscurité dans toutes ses pulsions et dans tous ses actes positifs. On peut évoquer ici une pensée qui n’existe que par rapport à une limite pressentie, dévoilant l’impossibilité de la pensée, la katastrophé du sens. Effleurée par le non-sens, la pensée doit s’autoriser à des affirmations. La liberté, la raison, la responsabilité comme condition de la possibilité d’une auto-érection démocratique, émancipatrice, progressive, ne prennent un sens qu’à l’instant où elles effleurent le NON-SENS:

“ Est-il possible, en se préservant un certain souvenir fidèle de la raison démocratique et de la raison tout court, je dirais même d’une certaine Aufklärung (ne parlons pas de l’abîme qui s’ouvre encore aujourd’hui, ou de nouveau, sous ces termes), non pas de la créer ou de la fonder, mais de l’ouvrir et de la maintenir ouverte, là où il n’est incontestablement plus question de création et de fondement, mais d’une ouverture pour l’avenir ou plutôt pour le “ viens ” d’une certaine démocratie ? ” (J.Derrida)

La PENSEE DE LA LUMIERE doit s’affirmer comme PENSEE DE L'OBSCURITE. De même que le sujet de l’expérience de l’Autre, de l’impossible, de l’avenir absolu ou de l’événement, le sujet de l’affirmation de la lumière affirme une obscurité originelle comme fondement de la possibilité de son expérience. En tant que pensée du possible, il est soumis à cette EXPERIENCE DE L'IMPOSSIBLE. Il décide dans la nuit de l’indécidable: “ L’indécidable ” n’a jamais été pour moi le contraire de la décision, mais la condition de la décision, et plus précisément dans tous les cas où cette dernière ne découle pas du savoir, comme le ferait une machine à calculer. ” (J. Derrida)

L’alliance spécifique de la lumière et de l’obscurité, du retrait, de l’oubli, (léthé) et du non-retrait, du dévoilement (alêthéia) dans la pensée déconstructive d’une autre Aufklärung semble donc être celle-ci : le sujet de la lumière, du savoir, de la décision, doit s’affirmer en tant que SUJET D'UNE OUVERTURE qui prolonge son être de la DIMENSION DE LA FERMETURE, de l’impossibilité, de l’indécidabilité et de l’obscurité absolue. Nous appelons le sujet de cette prolongation le sujet démocratique.

La RAISON DEMOCRATIQUE – Il semble qu’il s’agisse d’une tautologie : y a-t-il jamais eu d’autre raison que démocratique depuis que le terme de démocratique implique l’idée d’une ratio dialoguiste, d’une subjectivité communicative ? On pourrait penser que l’essence de la raison, voire même l’essence de la philosophie, vu qu’elle représente le mouvement de la raison dans toute sa multiplicité, est la démocratie, le principe d’une ratio divisée, par exemple dans le dialogue (parlementaire ou pas), dans le principe d’une AUTORITE DIVISEE.

La formule de la raison démocratique semble justement conjurer l’évidence selon laquelle il n’existerait pas de raison qui ne soit démocratique et pas de démocratie qui ne soit raisonnable. Et pourtant : peut-être n’y a-t-il rien de moins évident que cette évidence qui semble esquisser grossièrement la totalité de l’espace de la culture occidentale du logos. Peut-être le dilemme de cette culture réside-t-il précisément dans le fait qu’elle s’est vouée dès le départ à un principe d’évidence qui est plus sombre, plus déraisonnable ou plus fou qu’elle ne pouvait l’admettre. Peut-être la LUMIERE DE L'EVIDENCE, qui illumine les avant-cours et les halls des architectures philosophiques du logos, est-elle la fiction originelle, le fantasme cardinal aveuglant d’une raison qui se veut raisonnable. Peut-être la philosophie sert-elle uniquement à évincer un endroit sombre au cœur de son évidence, à faire disparaître une tache aveugle à l’aide d’un fondu enchaîné, par une sorte d’éclairage excessif qui génère une PROPRE FORME D'OBSCURANTISME.

C’est l’obscurantisme de la lumière, un trop de lumière qui enchaîne le logos à un principe d’évidence qui lui procure l’illusion d’une identité raisonnable. Comme si le logos n’était pas en même temps, et n’avait pas toujours été, le principe du manque de principes. Comme s’il ne “ savait ” pas dès le départ qu’il est né d’un NON-SAVOIR RADICAL qui échappe à sa souveraineté. Comme si la clarté proprement dite, l’autre évidence, de la raison occidentale n’était pas justement le fait qu’elle se précipite vers un soir, un crépuscule et une nuit, sans pouvoir encore comprendre la raison ou l’abîme de cette accélération. La raison occidentale surgit de la nuit de ce non-savoir élémentaire pour se plonger dans la nuit d’un avenir aussi obscur et aussi imprévisible que sa propre origine.

La formule de la raison démocratique ne peut donc servir qu’à affirmer aussi souverainement et aussi résolument que possible L'OUVERTURE DE CETTE RAISON SUR UNE NON-RAISON, la condition de la possibilité d’un sujet démocratique qui, en restant en mouvement, se soustrait à la réduction de l’évidence du démocratique. En se dirigeant vers sa limite et vers la sphère de son indécidabilité.

S’il est vrai que la philosophie est inséparable de l’événement d’une certaine introspection d’un sujet, si donc l’image de soi, c’est à dire du propre, fait partie de la notion de philosophie en tant que telle, s’il est prouvé “ que l’inépuisable question de la vérité et de la lumière, de l’Aufklärung (...) a toujours été liée à la question de l’homme ”, qu’elle “ revendique une notion de propre de l’homme ”, comme le dit Derrida, la question se pose de savoir ce que serait une philosophie qui rompt avec cette notion de propre, avec la logique de la propriété.

Peut-il y avoir une philosophie qui renonce à cette notion ? Une philosophie qui se dépasse en tant que philosophie du PROPRE pour être une autre philosophie, une philosophie de l’Autre ou d’une autre pensée de l’Autre ? Peut-on envisager une pensée qui ne soit plus animée par le souci de l’humanité de l’homme, une pensée qui se soit délestée du fardeau de l’idée de l’homme ? Une philosophie qui se soustrairait au terrible dispositif ontologique qui réunit les notions d’un soi ou d’un moi-même, du propre et du vrai, de l’essence, de la substance, de l’identité, de la subjectivité d’un sujet pour garantir en même temps l’objectivité des objets, la nature des choses, de l’être non-humain ? La philosophie n’est-elle pas apparue dès le départ comme la question du on hé on, de l’étant en tant qu’étant, en tant que pratique ontologique qui pose la question de l’être de l’étant, de son fondement élémentaire ? Et cette question (du sens) de l’être en soi, la question heideggerienne de l’être, n’est-elle pas justement liée au fondement du propre ? Cela ne fait aucun doute.

Et pourtant ce propre et peut-être le plus propre de l’homme, l’être du Dasein, ne peut pas être lui-même approprié. Le plus propre de l’homme n’appartient pas à l’homme. Peut-être est-ce là l’aspect le plus radical de la pensée heideggerienne : avoir pensé ce plus propre en tant que quelque chose d’absolument étranger, tout en insistant en même temps sur la nécessité de la question du plus propre. L’être de l’homme “ est ” (comme l’être en soi) ce qui dépasse l’homme (le Dasein). Le sens de ce que l’on nomme la différence ontologique entre l’être et l’étant est que l’étant “ homme ” habite son être comme une étrangeté absolue, comme un océan infini.

Pour ce SUJET OCEANIQUE, l’expérience de soi est en même temps expérience de l’étranger, l’expérience de ce qui défie son soi. Le sujet de cette expérience doit se dépasser soi-même pour être dans son soi. A vrai dire, il n’est son être qu’à l’instant de son dépassement, que lorsqu’il devient autre qu’il est. C’est là que la distinction entre le sujet de la démocratie et le sujet démocratisé s’exprime en tant que modalité de la différence ontologique :

Le sujet démocratisé est attaché à la (pseudo-)substantialité de sa détermination et de sa limitation ontologiques. Il défend son statut d’être établi au nom d’une IDENTITE POLITIQUE. Il est le sujet d’une immobilité identitaire. Le sujet de la démocratie par contre est le sujet hyperbolique du devenir, du DEVENIR-AUTRE, donc d’une mobilité qui le propulse au-delà de son statut identitaire (qui est de toutes les façons toujours multiple). Le propre de ce sujet réside dans sa non-propriété, son essence est sa non-essence, sa substance consiste à être sans substance.

Le sujet bute sur une limite qui l’empêche de s’identifier directement à lui-même. Il devient scène d’une contamination ruineuse de soi par quelque chose d’étranger. L’expérience de cette étrangeté n’est peut-être rien d’autre que l’expérience démocratique par excellence. Le sujet s’ouvre au non-sujet comme la démocratie s’ouvre au non-démocratique. C’est l’expérience même du sujet et de la démocratie: l’expérience de ce qui diffère infiniment l’inclusion de soi d’une structure. Le sujet est exclusivement sujet lorsqu’il fait l’expérience de ce qu’il empêche et qu’il intègre cette expérience dans sa compréhension de soi.

La démocratie est exclusivement démocratie quand elle parcourt l’examen de l’indécidabilité de ses limites jusqu’à la DIMENSION DU NON-DEMOCRATIQUE. Il est toujours question de parvenir à une constitution de soi par l’ouverture sur ce qui exclut cette constitution. Ce qu’elle exclut et ce qui lui reste exclu.

C’est le principe de la déconstruction de soi démocratique: se maintenir en relation à une hétérogénéité, qui compromet sans cesse la relation à soi, la conscience de soi démocratique. La DEMOCRATIE est une DECONSTRUCTION DE SOI dans la mesure où, dans son cœur, elle protège la loi de son impossibilité. Elle doit se trahir afin de se rester fidèle. Il y a démocratie qu’en tant que ce devenir, en tant que processus non-idéaliste et non-téléologique, sans fin d’une AUTO-AGRESSION PERMANENTE. La démocratie se prolonge dans le non-démocratique en affirmant, comme condition de sa possibilité, son propre déni, sa mise en danger absolue, son impossibilité absolue et évidente, au lieu de les refuser simplement. C’est la souveraineté possible de la démocratie : de se constituer en rapport avec la non-souveraineté. La démocratie se donne le droit d’être contre elle-même, comme le dit Derrida, le “ droit à l’auto-critique auto-immune ”.

La loi de cette auto-immunité est la loi de sa survie. La démocratie se survit à elle-même, à sa propre impossibilité. Il y a là quelque chose au cœur de la démocratie, qui à la fois la rend possible et l’entrave. La démocratie n’est peut-être rien d’autre que cette possibilité de soi par l’entrave à soi. Elle est processualité d’auto-référence subversive à soi. Ce devenir, l’événementialité et l’histoire de cette AUTO-ELEVATION NON-IDENTITAIRE, n’est rien qui la relierait avec un idéal, une utopie ou une idée régulatrice. La permanence de l’affirmation de soi auto-aggressive est la VERITE DE LA DEMOCRATIE.