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MARCUS STEINWEG
 

DEMOCRATIE ET NON-DEMOCRATIE

Swiss-Swiss Democracy Journal N° 1
CCS Paris
Exhibition: Thomas Hirschhorn, Swiss-Swiss Democracy
2004 / 05
La vérité de la démocratie serait-elle la non-démocratie ? La démocratie se réduirait-elle à l’ouverture sur la dimension de sa négation ou de son exclusion? La démocratie devrait-elle donc s’ouvrir sur une négativité (ou sur une positivité), sur un danger ou une menace, sur une étrangeté et une incommensurabilité absolues pour pouvoir se constituer et s’imposer en tant que démocratie, en tant que mesure et mesure de souveraineté ?

L’excès, le dépassement de soi vers une altérité qui échappe au kratein (gouverner) du demos (le peuple), à la souveraineté du peuple, serait-il indissociable de LA DEMOCRATIE EN TANT QUE SUJET et du SUJET DE LA DEMOCRATIE ? La démocratie serait ce qui court à son IMPOSSIBILITE. Elle ne serait que la TURBULENCE et l’INSECURITE d’un MOUVEMENT D’ANEANTISSEMENT. Elle devrait refuser le confort d’une auto-inclusion souveraine afin d’accepter ce refus comme la SOUVERAINETE appropriée.

La souveraineté de la démocratie, sa DEMOCRATICITE, pourrait résider dans l’acceptance de ce qui l’inquiète et la menace le plus. La démocratie ne serait à aucun moment de nature à rassurer. A aucun moment, le sujet de la démocratie ne jouirait de la CERTITUDE narcissique courante de ceux qui sont du “ bon côté ” pour se battre pour la “ bonne cause ”.

La démocratie serait la lutte, la mise en question et l’épochè de cette certitude. Une sorte de scepticisme auto-affirmatif qui se débarrasse du luxe de la bonne conscience comme de la présomption d’être la mauvaise conscience de quelqu’un d’autre. La démocratie n’existe qu’au-delà de la bonne et de la mauvaise conscience, au-delà de toute CATEGORIE DE CONSCIENCE.

La liberté de la démocratie consisterait à se référer à sa non-liberté objective sans désamorcer cette référence dans une dialectique de la toute-puissance. La démocratie ne serait en fait pas beaucoup plus que l’AVEU d’une incapacité et d’une impuissance élémentaires. Elle serait AUTO-AFFIRMATION dans une HETERO-AFFECTION factice. De même qu’un sujet n’existe qu’en tant que structure de l’ouverture sur la sphère du non-subjectif, des HETERO-AFFECTS, la démocratie pourrait désigner une référence constitutive du sujet de la démocratie à la violence du non-démocratique. La démocratie serait la facticité de cette référence. Elle serait une REALITE, pas un IDEAL !

De nos jours, à quelques exceptions près, tout le monde décide et agit au nom de la démocratie. La démocratie est ce à quoi les êtres se réfèrent positivement. La démocratie légitime à peu près tout. Elle est, dans beaucoup de domaines, la principale CAUSE DE LEGITIMATION. Et en tant que telle, elle constitue une sorte de TABOU absolu. L’art et la philosophie agissent eux-mêmes de plus en plus au nom de la démocratie ou de l’idée de démocratique.

C’est la raison pour laquelle la seule attitude adéquate face à l’IDEAL DE LA DEMOCRATIE serait éventuellement le REFUS DE CET IDEAL. Peut-être la démocratie N’EST-ELLE PAS du tout UN IDEAL. Au lieu de se rallier à l’opinion courante selon laquelle la démocratie serait un idéal (qu’il est nécessaire d’atteindre), un principe régulateur difficilement réalisable qui, de ce fait, doit rester un idéal, quelque chose qui reste à venir, il faudrait tenter de renverser cet idéalisme :

- IL N’Y A PAS D’IDEAL DE LA DEMOCRATIE
- SEULE LA DEMOCRATIE REALISEE EXISTE
- LES DEMOCRATIES REALISEES OU EXISTANT REELLEMENT SONT TOUJOURS AUSSI NON-DEMOCRATIQUES
- LA DEMOCRATIE N’EXISTE QU’EN TANT QUE NON-DEMOCRATIE

Comment peut-on intégrer la vérité de la démocratie, son ouverture irréductible sur la non-démocratie, dans une PENSEE qui a remplacé toute forme de CYNISME (qui assombrirait cette vérité plus qu’il ne l’accompagnerait) par le COURAGE DE L’ACCEPTANCE d’une REALITE DU DEMOCRATIQUE qui tente de l’associer, dans l’IMMANENCE DU REEL, à une LIBERTE aussi ABSOLUE que REELLE ?


A. DEUX SUJETS : DEUX POLITIQUES

Qu’est donc la manière d’être de la démocratie ? De la démocratie comme forme d’existence d’une pluralité de singularités, qui interrompt le concept et l’idée d’un corps populaire national et étatique ?

La démocratie est ce qui pousse à leurs limites les formes démocratiques, les dispositifs établis des fonctions et des opérateurs démocratiques. Elle est ce qui introduit une non-fonction, une contradiction, une aporie dans l’idée du sujet démocratique. Le sujet de la démocratie doit se trouver en quelque sorte dans une position d’adversité envers le sujet, disons, démocratisé. Le sujet de la démocratie est quelque chose d’essentiellement autre qu’un non-sujet démocratisé assimilé à la logique policière. Il n’est pour ainsi dire qu’opposition à sa démocratisation. En se démocratisant, le sujet démocratisé s’est justement débarrassé de cette part d’opposition du sujet que le sujet de la démocratie privilégie et protège. C’est cette part du sujet, son affirmation et sa défense, qui empêche le sujet de n’être que l’objet d’une démocratisation, c’est-à-dire d’une dé-subjectivation.

La démocratie, c’est la pause, l’arrêt, l’épochè forcée de tous les processus institutionnels, administratifs, techniques et bureaucratiques qui régissent cette dé-subjectivation. Au lieu d’incarner un apaisement consensuel d’éléments conflictuels, la démocratie est quelque chose qui trouble cet apaisement. La démocratie est ce qui reporte à l’infini l’auto-apaisement de la bonne conscience démographique et contribue ainsi à l’entraver. Elle est l’auto-dépassement de toutes les institutions et de toutes les structures qui répondent à cette volonté d’apaisement. C’est, comme dit Jacques Rancière, “ le nom d’une interruption singulière de cet ordre de répartition des corps dans la communauté, que j’ai proposé d’appeler police, au sens large du terme. C’est le nom de ce qui interrompt le bon fonctionnement de cet ordre par le biais d’un singulier dispositif de subjectivation. ”

Pour Rancière, ce fonctionnement a un rapport avec la souveraineté de l’opinion et l’autorité élargie de la sophrosyne. L’opinion (doxa) et la sagesse (sophrosyne) constituent elles-mêmes des sujets d’auto-apaisement qui leur sont identiques. Ce sont des sujets qui s’identifient totalement avec leur situation socio-politique dans une structure policière post-démocratique et donc dépolitisée. Des sujets d’un arrangement élémentaire avec la situation ou avec l’ordre établi, un arrangement qui touche toutes leurs décisions concrètes. A “ l’époque post-moderne ”, on distingue dans la démocratie deux modalités inconciliables, la démocratie en tant que logique de l’égalité et la post-démocratie de l’ordre policier :

1. “ La démocratie est l’instauration de sujets qui ne s’accordent pas avec les parties de l’Etat ou de la société, l’établissement de sujets flottants qui apportent le désordre dans chaque représentation de places ou de parties.

2. “ La post-démocratie est la pratique gouvernementale et la légitimation abstraite d’une démocratie conforme au demos, une démocratie qui a liquidé l’apparition, la compensation et la lutte du peuple, se réduisant ainsi au seul jeu des dispositifs étatiques et à la concentration d’énergies et d’intérêts sociaux. La post-démocratie n’est pas une démocratie qui a trouvé la vérité des formes institutionnelles dans le jeu des énergies sociales. Elle est une forme d’identification des dispositifs institutionnels par l’établissement des parties et des parts de la société, qui est apte à faire disparaître le sujet propre à la démocratie. ”

Cette distinction entre la démocratie et la post-démocratie se retrouve de la même façon dans la différence aussi indécidable qu’absolue entre le sujet de la non-concordance avec l’ordre policier, le sujet du tort et celui de l’auto-assimilation à cet ordre. Entre le sujet de la démocratie et le sujet démocratisé.

Le sujet de la démocratie est le sujet du flottement. Il flotte au-dessus de la logique de la représentation (juridique, sociale, politique) pour ne pas se laisser prendre et reproduire par cette logique. C’est pourquoi il est le sujet de l’inquiétude. Parce qu’il s’oppose dans toute son incommensurabilité à la représentation, qui est un système d’équivalence et non d’égalité.

Dans ce sens spécifique, le sujet de la démocratie est immense. Il est excessif en tant que tel. Il représente le non-représentable, un excès radical et une résistance irréductible qui ne peut s’apaiser dans aucune forme de consensus.

Le sujet démocratisé est le sujet de son désamorçage policier. Il est le sujet du droit. Un sujet prédéfini, socio-politiquement codifié, de l’ordre policier post-démocratique. Il est ce qui reste du sujet de la démocratie au terme de sa juridification ou de sa démocratisation. Il est la part non-énergétique et fonctionnelle du sujet, réduite à son statut d’objet : une sorte de reste dé-politisé, étatisé.

Le motif du démocratique, des deux sujets du démocratique, le sujet de la démocratie et le sujet démocratisé, rend nécessaire une autre distinction qui déchire littéralement le corps démocratique. La ligne de séparation entre le sujet de la démocratie et le sujet démocratisé se retrouve dans la différence entre une politique du sujet et une politique de l’objet, une politique de l’auto-élévation et une politique de l’auto-réduction (à la sphère objective de structures et de faits établis). C’est aussi la différence que Derrida fait valoir à l’intention de Nietzsche, la différence entre la “ grande politique ” et la “ politique de l’opinion ”.

La “ grande politique ” n’est pas ce qui échapperait à la démocratie. Elle fait elle-même partie de l’idée de démocratique dans la mesure où il s’articule entre la politique du sujet et la politique de l’objet, en tant qu’élément de la division. La pensée du peut-être ne correspond à aucun obscurantisme de l’imprécision : “ il ne faudrait pas croire que notre peut-être appartient à la sphère de l’opinion ; ce serait naïf, une opinion simple et mauvaise. Notre incroyable peut-être ne désigne ni le flou, ni l’instabilité, ni la confusion qui précède le savoir ou qui renonce à toute sorte de vérité. (...) Les amis du peut-être sont les amis de la vérité. Mais ils ne sont pas, par définition, dans la vérité ”.

La pensée du peut-être ne relève ni de l’opinion, ni de la croyance, ni de l’imprécision. Elle évoque au contraire ( bien qu’elle s’adresse à la structure de la simple contradiction) une politique de la vérité. Une vérité toutefois qui ne reste vérité que tant que le sujet de la politique de vérité ne s’en empare pas et tant qu’elle ne possède pas le sujet dans sa totalité. Une vérité excessive, qui disparaît sans cesse, et à laquelle le sujet se rapporte en l’affirmant. La politique de la vérité ne peut être autre chose qu’une politique d’affirmation de la vérité, de sa revendication et de sa défense. C’est pourquoi la vérité (contrairement par exemple à l’opinion, qui déleste le sujet de cette affirmation) est ce qui exige trop du sujet. La politique de la vérité, du peut-être, de l’indécidable, pousse le sujet à dépasser ses limites. Elle exige du sujet qu’il se surpasse. Elle est la politique hyperbolique de l’abstention. Cette abstention propulse le sujet au-delà de son statut officialisé, démocratisé. La pensée du peut-être préconise ainsi l’auto-dépassement d’un sujet qui, pour rester un sujet démocratique, s’oppose à l’impulsion de la démocratisation (ou de l’objectivation).

C’est le seul moyen pour le sujet de l’affirmation de la vérité politique de devenir sujet, sujet d’une certaine grandeur, d’une super-grandeur, sujet de la “ grande politique ”. Car c’est cette politique qui appelle les sujets apaisés par les systèmes d’équivalence à se surpasser. Une politique qui attend du sujet qu’il s’émancipe du ressentiment, de la vengeance, de la logique de la peine, de la réciprocité. La pensée du peut-être est la pensée d’un tel appel à une auto-élévation libre de tout ressentiment. Une pensée donc qui pousse le sujet à se dépasser et qui ne contribue en aucun cas à l’apaiser. La grande politique, conçue comme politique de l’affirmation de la vérité, est une politique d’auto-apaisement. C’est la politique de l’auto-gaspillage affirmatif et, en ce sens, souverain. Une politique de l’épuisement, de la liberté absolue et de la responsabilité absolue du sujet démocratique non démocratisé. La vérité du sujet de l’auto-élévation démocratique, c’est l’excès.


B. LA DEMOCRATIE EN TANT QUE DECONSTRUCTION DE SOI I: L’EXPERIENCE DU PEUT-ETRE ET LE FEU DE L’INDÉCIDABILITÉ

Comme chacun le sait, la déconstruction – qui est fondée sur une loi, un principe ou une méthode irréductible et, de ce fait, est le procédé toujours singulier auquel Derrida a attribué ce nom– est toujours apparue comme déconstruction de soi, comme déconstruction de l’ipséité du soi et de soi grâce à ce soi-même. La déconstruction est, dès le début, au nom d’une complication de soi, qui décrit le mouvement de son propre développement et de son propre éloignement.
C’est pourquoi la déconstruction d’un soi par soi le moment d’une certaine folie, d’une aporie terrible et inquiétante. C’est le moment fantomatique d’une résurrection suicidaire, moment d’une auto-survie de soi, qui s’expérimente comme témoin et objet de sa “ dés-ipséitation ”, comme témoin de sa dé-subjectivation

La déconstruction de soi du sujet n’est peut-être rien d’autre que la subjectivité même de ce sujet. Elle défère le sujet du peut-être (si l’on peut dire) en tant que tel. À un peut-être transcendantal ou quasi-transcendantal duquel Derrida dit, dans Politique de l'amitié, qu’il appartient à un “ vocabulaire ”, “ qui doit rester étranger par essence à la philosophie. À La philosophie, c’est-à-dire à la certitude, à la vérité, à la vraisemblance même. ”

Le peut-être permet à la philosophie de sortir du domaine des concepts hérités de certitude et de vérité. Il concède à la philosophie une sorte de vertige. Cela paraît en attendre l’impossible c’est-à-dire qu’elle doit traverser et dépasser son soi, son même afin de persister dans l’acte de cette traversée et de ce dépassement en tant que “ sujet ” d’expérience d’une certaine dissolution de soi. L’expérience du peut-être serait plus que l’expérience du manque de certitude de soi, l’expérience de la persistance de ce qui se dissout et disparaît. Dans le peut-être s’annonce un sujet non-substantiel, non-cartésien, non-cogital de l’auto-dépassement, qui n’est pas conciliable avec la représentation moderne de la conscience.

Le peut-être est ce qui déstabilise et inquiète la philosophie, ce qui lui permet d’être en désaccord avec elle-même. Cela porte la philosophie à ébullition. Il marque l’événement d’une gêne permanente qui ne cesse d’infecter la philosophie, son savoir, ses concepts et son histoire. Il inscrit la représentation de la philosophie, qui succède à un platon-aristotélisme plus ou moins conséquent de l’un, du vrai et du bon, pour reconnaître cette succession comme son histoire, il inscrit donc la philosophie en tant que telle, une incongruité radicale. Il semble que le peut-être indique la loi tabouisée au cœur de la légitimité officielle du logos en général. Une “ loi ” avant la loi. Loi, qui au nom de la “ loi ” per definitionem est condamnée à renoncer. Car, en effet, elle est elle-même le nom de ce qui précède à la logique de la désignation, à la logique de la dénomination et au nom lui-même, à l’ipséité du nom et de tout le nommable en tant qu’ouverture.

Il en va toujours du nom. Comment s’appelle ou comment nomme-t-on l’innommable? Que lui donne-t-on comme nom ? Aussi longtemps que la philosophie se réduit à la limitation, à la satisfaction terminologique et à l’investissement calculateur, elle sera poursuivie par l’innommable, qui se refuse à tous liens. Ce qui est sans nom inquiète. L’innommable est un autre titre du danger. Aucune philosophie, qui se veut responsable, se refuse au nom, à la question du nom, qui questionne aussi sur ce que l’on ne peut pas mettre en question. La question de l’origine du nom est également la question de l’origine de la philosophie. Il n’y a pas de pensée que ces questions n’inquiètent pas. L’innommable constitue l’absence de langage de la philosophie dont la responsabilité culmine dans l’engagement au nom, à l’aveu ou à la désignation face au silence d’un peut-être absolu.

“ Aucune réponse et responsabilité ne pourront jamais créer dans le monde ce peut-être. [...] C’est ce peut-être, qui ne peut plus être qualifié de sceptique ou en état de doute, le peut-être de ce qui reste (in extremis) à penser, à faire, à vivre. Ce “ peut-être ” n’advient pas seulement “ avant ” la question (de l’examen, de la recherche, du savoir, de la théorie, de la philosophie); il serait “ avant ” tout engagement originel, en vertu duquel les questions ont déjà été assenties par autrui et contraignent. ”

La philosophie, sa logique, sa vérité, semble être déférée dès le début de cette dimension du peut-être, de la logique de l’altérité, qui précède le concept de l’autre, de l’identité à soi de l’autre. La primordialité du peut-être – pour autant qu’elle reste encastrer dans l’histoire du savoir en général, dans l’historicité des affirmations du vrai et de la vérité, dans la présence de ses manifestations phénoménales – semble en tant que telle se dérober au temps. Le peut-être correspondrait à plus encore qu’au début du temps (et au souvenir et multiplication de ce début en tant qu’histoire), à cette perturbation dépassant l’espace-temps et tout temps : d’un “ temps ”, qui n’arrête pas de résister à son effacement dans le comprendre, la spatialisation et la temporalisation. Le peut-être ne cerne pas de ce fait encore un au-delà (du temps et de l’espace). C’est beaucoup plus la règle d’une altérité incernable, qui s’enferme dans la logique de l’autre, sa fixation identitaire dans la contradiction. Il fait référence à un au-delà sans être au-delà, à une hétérogénéité prescrit par l’ici-et-maintenant.

Une fois posée la question du peut-être, il s’agit d’une question qui semble si ce n’est englober toutes les autres formes, mais bien les libérer ou ne pas les laisser intactes : c’est la question des questions, à laquelle Derrida a consacré un livre au sujet de Heidegger , la question de la réponse (de la possibilité de répondre à des questions et de la réponse qui précède la question, de la réponse originaire), la question du oui, la question et le thème d’une affirmation radicale au moins questionnable. En même temps, le peut-être est dû à la logique de la simultanéité différentielle ou différentiale, d’une logique aporétique d’un en-un ou simultanément, de la simultanéité ou compossibilité de ce qui est à part, non simultané, décalé les uns par rapport aux autres ou qui paraît rendre l’autre impossible.

L’expérience du peut-être, qui représente l’expérience de base et de fond de la déconstruction, peut aussi être expérimentée en tant qu’expérience d’une expérience ratée, en tant qu’expérience de l’expérience aporétique et de l’aporie même. Elle pousse le sujet de cette expérience vers le territoire de l’expérience-limite, vers sa limite. Vers la limite de cette expérience et dans la zone de la suppression des limites en tant qu’expérience. Le sujet du peut-être commence à supprimer les limites du statut de sujet. Il rend infini sa finitude, afin de se constituer comme sujet d’une finitude radicale comme celle des métaphysiciens de l’infini dans l’opposition simple à l’encontre d’une infinitude simple d’une finitude abandonnée.

Dans tous les cas, l’expérience du peut-être est ce qui ouvre le sujet à ses limites, à un autre sujet que celui de la simple connaissance de soi. Il demande au sujet d’affirmer l’aporie, une indécidabilité irréductible, qui se refuse per definitionem au contrôle calculateur et anticipateur, comme étant sa subjectivité. Au lieu de limiter le sujet de l’extérieur, le peut-être prend la place de ce que les ontologies de la substance appellent la substance ou l’être du sujet. Le peut-être habite le milieu intérieur du sujet sans remplir la fonction d’un signifiant transcendantal. Il noie le sujet de l’intérieur et l’empêche de cette façon de participer à toute forme de certitude de soi apodictique. Toutefois, ce peut-être déconstructif, dans lequel le cogito interrompt et rend impossible, est le point de départ d’une autre conscience de soi, d’une autre liberté et d’une autre responsabilité, d’une autre démocratie, donc d’une expérience de soi, qui traverse le feu de l’indécidabilité, c’est-à-dire de l’inconscient, de l’aliénation, de la non-démocratie : “ pas de déconstruction sans démocratie, pas de démocratie sans déconstruction. ”

“ La condition de possibilité de cette chose, de la responsabilité est une certaine expérience de la possibilité de l’impossible : elle est essai que l’aporie nous soumet, l’expérience de l’aporie, à partir de laquellr on peut découvrir la seule découverte possible, la découverte impossible. ”

Le sujet du peut-être est sujet de la découverte. Il se découvre lui-même en faisant l’expérience des limites de soi (autos), de l’ipséité, de la souveraineté et de la liberté, c’est-à-dire de la découverte. Il se décide pour lui-même dans l’espace d’indécidabilité factuelle. Singulier là où la décision est impossible, elle devient nécessaire, la décision prend du sens : “ je crois encore que cette indécidabilité, laquelle contient aussi bien la démocratie que la liberté elle-même, représente la seule possibilité radicale de décision [...] Elle ouvre donc déjà, pour qui ce soit, une expérience complètement équivoque et troublante de la liberté, menace et menaçante, quand elle reste dans son “ peut-être ” , et liée avec sa responsabilité’ qui dépasse toute mesure et à laquelle personne ne peut échapper. ”

L’indécidabilité est ce qui expose le sujet d’une responsabilité démesurée. Par rapport à l’indécidabilité, la question de la démocratie acquiert une force explosive propre qui la lie nécessairement à la question de la liberté, de la responsabilité et décision.