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MARCUS STEINWEG
 

L ́ART ET LES FAITS

Lecture at CCS, Paris
Exhibition: Thomas Hirschhorn SWISS-SWISS DEMOCRACY
Foto: Swiss-Swiss Democracy Journal N°16
“ Je crois que l’idéologie la plus pointue qu’il existe est celle qui prend la réalité pour réel. ”
Alexander Kluge

L’espace public est l’espace de la vie publique. C’est l’espace des faits établis. L’espace public n’est pas neutre. Il n’est pas indifférent. L’espace public est l’espace d’une certaine violence. C’est la violence des faits, de la doxa économique, sociale, politique, culturelle, sexuelle.

La DOXA est le mot pour une OPINION, qui n’est pas une vérité. Il fait partie de la doxa le fait qu’elle se donne pour vérité. La doxa semble être une vérité. Elle est illusion réelle, une illusion fonctionnant dans la réalité, qui recouvre le contact avec le réel. Elle est VERITE DE FAITS, afin de ne pas être VERITE DU REEL. La doxa est aussi le nom du simple intérêt.

L’espace public est l’espace de la doxa, l’espace des intérêts et des illusions, qui alourdissent ou handicapent le contact à la vérité du réel. L’espace public est l’espace des vérités-faits. C’est l’espace de la non-vérité. Une vérité-fait n’a pas d’autre but que celui d’handicaper la vérité. C’est pourquoi le sujet d’une vérité-fait est sujet du CYNISME, de la DEPRESSION, du NARCISSIME et de sa LARMOYANCE PLAINTIVE.

S’appuyer sur des faits signifie prendre des précautions contre la possibilité de vérité en insistant sur son impossibilité. Les faits sont des non-vérités que l’on invente pour handicaper les vérités. Des sujets, qui ne veulent pas être sujets, s’appuient sur des faits. Les sujets-faits sont sujets d’une continuelle désubjectivation de soi. Le sujet-fait se rapporte à lui-même comme à une chose, à un objet, un factum immuable. C’est le sujet d’une impuissance volontaire. C’est le sujet de la PEUR. Il fuit la nécessité de se décider en faveur d’une vérité, donc contre les “ faits ”.

L’art dans l’espace-fait public est l’art en tant qu’affirmation de la vérité et de la forme au-delà de l’intérêt. L’art dans l’espace public exige que l’artiste s’affirme au sein des faits comme SUJET DE LA VERITE (c’est-à-dire d’une vérité affirmée par lui, par son travail). L’art dans l’espace public est l’art dans la non-vérité.

L’art doit s’affirmer dans le tourbillon des faits comme quelque chose d’autre que des faits. L’art n’est pas un fait. L’ART N'EST PAS EVIDENT. L’art manque de toute évidence de faits. L’art doit produire, défendre et affirmer une autre évidence. L’évidence de l’art repose dans son CONTACT AVEC LE REEL. Le réel est le nom pour ce qui n’appartient pas à l’espace des faits. Le réel nomme la frontière et l’extériorité constitutive de cet espace. Le réel n’est pas la réalité.

Le réel est plus réel que la réalité. C’est ce qui inscrit une INCONSISTANCE ESSENTIELLE dans le calcul “ réaliste ”, dans l’économie de la doxa. Le contact avec le réel est contact avec cette inconsistance, le point faible de ce système de faits. L’art se refuse de participer à ce recouvrement dans l’espace de recouvrement du réel, en cherchant le réel pour le toucher. L’art résiste à l’imaginaire du monde des faits tandis qu’elle tente de donner forme à ce contact. En ce sens, l’art est la tentative de l’impossible. Car le réel, la vérité, est L’INTOUCHABLE. Il marque la frontière de toute compétence.

L’art est souverain en faisant avec son impossibilité. L’art affirme L’IMPOSSIBLE. Il assentit ce qu’il limite. Et, il recouvre de force avec cet assentiment des limites, celle-ci pousse au dépassement volontaire des limites.

Le MONDE DES FAITS est le monde des limites établies, des rituels et symboles, lois, interdits et règles. Et il est également le monde de la protection imaginaire de soi face à la violence des faits. Il est en soi divisé. Il se subdivise en un ordre symbolique (l’univers de la loi, la langue[]) et en un monde du rêve, de l’imagination, des phantasmes, qui est à la fois élément de l’ordre symbolique, une sorte de supplément (inhérent).

L’art dans l’ordre des faits est l’art dans la non-vérité du symbolique et de l’imaginaire. L’art dans l’espace public doit s’affirmer contre la violence du symbolique et la violence de l’imaginaire. L’art est une violence-affirmation. Il partage, avec la philosophie, le COURAGE d’affirmer. Son affirmation est affirmation de la forme et de la vérité. Elle est aussi affirmation de soi. L’art et la philosophie sont des violences-auto-affirmations.

L’auto-affirmation de l’art et de la philosophie advient dans l’espace public. Elle s’oppose à cet espace et à des non-vérités de faits, qu’il pénètre, administre et représente. Les vérité-faits sont les non-vérités-faits : des mensonges avérés.

La philosophie et l’art s’opposent à ce MENSONGE. La philosophie et l’art sont contre les violences, qui traversent l’espace des mensonges, dans le but de dévoiler une vérité évidente. Il n’y a peut-être pas d’au-delà de la réalité dans la mesure où nous posons la réalité comme identique au monde des faits (le monde public). L’art et la philosophie sont pour toujours objectivement aliénés. Cependant, l’art et la philosophie s’opposent à l’aliénation en insistant sur la nécessité du contact avec une vérité au-delà des non-vérités de faits : “ au lieu de partir d’un droit de l’art dans l’espace public, au lieu de démontrer la légitimité de l’art dans la sphère publique, au lieu de procurer à l’art un passage vers un espace public ouvert préalablement, on doit penser une ouverture, qui est un DEVENIR. L’art n’est peut-être pas beaucoup plus et pas beaucoup moins que l’expérience de telle ouverture qui ne peut seulement obtenir une légitimité qu’ultérieurement. ”

L’art et la philosophie sont insistants. L’ART ET LA PHILOSOPHIE INSISTENT ! L’art et la philosophie veulent être libres dans l’espace de l’aliénation, dans l’espace des faits. L’art et la philosophie ne sont rien, quand ils n’affirment pas la LIBERTE dans l’aliénation réelle. L’art et la philosophie sont les mouvements risqués de l’accélération de soi ; L’art et la philosophie accélèrent au-delà des faits. L’art et la philosophie sont des violences de l’auto-accélération, qui font un compromis nécessaire avec les vérités établies. L’art et la philosophie s’opposent aux croyances-faits de ceux qui combattent la vérité en tant que simple illusion. L’art et la philosophie insistent sur la possibilité et la nécessité de la vérité.

La vérité n’est pas justifiée par l’art et la philosophie. La vérité est assertée. Une affirmation de la vérité est en même temps une AFFIRMATION DE LA FORME. La philosophie affirme sa forme en tant qu’affirmation de la vérité. L’art affirme sa vérité en tant qu’affirmation de la forme. Il existe un moment au cours duquel l’art et la philosophie ne sont pas différenciables. L’art et la philosophie constituent l’alliance de l’insistance séparée de la vérité et la forme. Cette alliance est une sorte de communauté de combat. Cette communauté de combat s’oppose à la dictature de la croyance-fait, aux impératifs de la force.

La violence de l’art et de la philosophie est une violence qui s’oppose à la violence de L'UNIVERS DES FAITS. Cependant, cette violence n’est pas en réaction. Au contraire, l’univers des faits engage les sujets à la simple réaction qui y demeurent. Dans l’univers des faits, les options qui président à la prise de décision sont définies et prescrites. L’univers des faits, l’espace public, est l’espace des prescriptions, de la DICTATURE DES FAITS.

L’art et la philosophie dans l’espace public, cela se traduit comme univers des prescriptions. Une vérité et une forme affirmatives, ainsi que la philosophie et l’art en prennent le risque, signifie donc s’opposer aux prescriptions, faire quelque chose d’autres que ce qui est prescrit. Il ne s’agit pas s’enfermer dans la NEGATIVITE, c’est-à-dire dans le refus des prescriptions. Mais dès que la philosophie et l’art entrent en contact avec la vérité, la dimension de la prescription est nécessairement touchée []. Une vérité advient toujours seulement quand un espace public devient l’espace-expérience d’une certaine cécité, quand l’addition des mathématiques des faits n’est pas « faire », quand le calcul du non-calculable, quand le pragmatisme de la “ bonne décision ” sont éprouvés par la force des inutiles, quand l’évidence des faits EXPLOSE sous la pression d’une vérité.