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MARCUS STEINWEG
 

LE DIRE-OUI. AGIR EN PARLANT

Le sujet de la démocratie est sujet d’inquiétude. Une “ inquiétude non critique ” pour reprendre une expression de Derrida. Pourquoi “ non critique ” ? Parce que la critique reste liée à la bonne conscience de la conscience démocratisée, contrairement à la déconstruction par exemple, à l’hypercritique déconstructive. Le sujet démocratisé est le sujet critique de la remise en question et de l’interrogation, à commencer par lui-même.

Le SUJET DE LA DEMOCRATIE par contre, tant que nous l’associons à une certaine déconstruction, à un certain processus d’auto-dépassement excessif ou hyperbolique, est sujet d’inquiétude, de critique de la critique. A la différence de la critique, l’inquiétude est affirmative, positive. Au cœur de la critique, il y a cet accord originel avec l’objet, sans que l’inquiétude ne s’assimile pour autant à l’objet de son inquiétude. L’inquiétude maintient son sujet dans une dimension sur laquelle aucune critique et aucune négativité n’ont de prise. Le sujet de la démocratie garde ce contact soucieux et toujours excessif avec le non-démocratique, une sphère donc dans laquelle la possibilité, la légitimité et l’efficience de l’objection critique, du dialogue et de l’explication dialogique n’existent plus. Au contact de cette sphère du non-verbal, le sujet de la démocratie doit satisfaire à une positivité irréductible, à un OUI fondamental. Une affirmation qui, comme le disent Derrida et Heidegger, correspond à un consentement radical : “ ce n’est pas l’affirmation dogmatique qui résiste au questionnaire, mais un “ oui ” permettant qu’une question se pose, qu’une question s’adresse à quelqu’un, (...). ” Un “ oui ” du consentement radical, dépassant les limites de toute négation et de toute question, une reconnaissance devançant toute acceptation, comme le dit Heidegger.

Le sujet démocratisé est ce qui exclut l’excès dans les domaines du non-verbal, du non-logos. Il se constitue par le rejet critique de l’éventualité de ce “ oui ”. Il qualifie d’hyperbolisme malsain toute référence à une telle affirmation, qui ouvre alors la porte à la critique, un hyperbolisme dans lequel le sujet se prive de sa capacité à faire la différence entre le raisonnable et l’irraisonnable, entre le sensé et l’insensé. Et c’est justement ce qui caractérise le sujet de la démocratie et ce qui le distingue du sujet démocratisé : à aucun moment le sujet de la démocratie ne renonce à cette inquiétude hyperbolique, à la déraison élémentaire d’un auto-dépassement qui épuise toute certitude, suite à l’expérience de sa propre impossibilité. La démocratie n’existe qu’en tant que positivité d’une inquiétude non-critique en ce qui concerne le contact avec la dimension du non-démocratique dans lequel la raison reste livrée à l’examen de la non-raison.

Le “ oui ” à la démocratie doit calculer avec l’incalculable : il ouvre le sujet à la dimension de la fermeture-démocratie, à l’autre de la démocratie, qui est toujours aussi l’autre d’une certaine liberté, d’une certaine égalité et d’une certaine fraternité. L’autre, la conscience démocratique dans la mesure où elle s’épuise dans la défense des valeurs démocratiques, comme on dit, pousse à penser la liberté, l’égalité et la fraternité autrement: en tant que réalités, qui compromettent nécessairement la valeur-idéal de ce concept.

L’autre de la démocratie est ce qui menace et handicape l’enfermement narcissique de soi au sein d’une BONNE CONCSIENCE POLITIQUE. C’est la raison pour laquelle le sujet de la démocratie s’affirme comme résistance au sujet démocratisé : parce qu’il est sujet d’un assentiment, qui interrompt toute complaisance à soi (que ce soit celle de la conscience critique, que ce soit celle de la dogmatique consensuelle, ces derniers, on le sait, vont de pair).

Le “ oui ” à la démocratie – Derrida ne cesse de le rappeler – affirme la démocratie en tant que quelque chose d’autre, en tant que quelque chose[] qui vient aussi bien d’ailleurs qu’ici, qu’il arrive là. La démocratie à venir, tout comme l’Autre vient. L’affirmer signifie l’accueillir en tant qu’événement, en tant que surprise absolue, en tant que ce qui déchire l’horizon de l’attente, en restant à venir, tandis qu’il arrive en tant que tel dans cet à venir permanent. Ici-et-maintenant.

Le dire-oui fait nécessairement référence à ce qui vient. Même quand [] le « à-venir » advient précisément. Quand il “ est ” en tant qu’événement ici-et-maintenant. C’est l’affirmation d’un avenir toujours déjà arrivé et toutefois à venir, qui unit l’affirmation de cet événement (de la démocratie à venir) avec le “ oui ” nietzschéen au l'éternel retour du même (à ce qui vient toujours en tant que chose passée du nouveau, en tant que nouveau).

Dans tous les cas, le “ oui ” est lui-même une action car il touche à un avenir extraordinaire, l’extrême de ce qui est à venir sans neutraliser sa puissance. Le “ oui ” ne parle pas seulement, il ne “ théorise ” pas. Il intervient dans la texture de la sphère objective des faits. Il intervient. Il n’y a “ oui ” uniquement en tant que VIOLENCE D’INTERRUPTION. En tant qu’une sorte de hoquet, qui interrompt le cours normal des choses, leur fonctionnement réglé, la rythmique de sa légitimation. Le “ oui ” génère une pause incommensurable, une hésitation absolue (irréparable et inabrogeable) au cœur de l’ordre positif des choses. Il agit en parlant.