Almine Rech

Anselm Reyle

12 Oct - 22 Nov 2008

© Exhibition View
ANSELM REYLE
"White Earth"

L’exposition a lieu dans un bâtiment en friche. Pour « White Earth », Anselm Reyle aeu à sa disposition un contexte exceptionnel qu'il a arrangé à sa convenance afin deparvenir à ses fins : il a découvert l'emplacement de son exposition, un ancienbâtiment industriel avec un parking situé à Bruxelles, alors que celui-ci était àl’abandon et l’a laissé tel quel en grande partie. Le seul plan de rénovation entreprisa été la mise en place de murs en carton plâtre, grossièrement préparés et sanspeinture, qui servent ainsi de cadre pour la présentation de ses oeuvres. Même laferraille industrielle répartie sur le sol n’a pas été enlevée, voire même complétée çaet là par quelques « ajouts » supplémentaires et intégrée dans l’environnement àl'aide d'éclairages néon et de l’accrochage d’oeuvres importantes. Dans ce lieu, toutjoue un rôle dans la mise en scène ; Reyle transforme une « ruine contemporaine » enune scène d’exposition : les « white cubes » et les salles conventionnelles laissentdésormais place à un mélange radicalisé, hautement artificiel, dans lequel Reyle faitinteragir son art avec des débris et des morceaux de ferraille. Tout ceci provoquedes collisions qui conduisent bien au-delà des oeuvres et qui intensifient ce que lesgaleries abordent d’ordinaire - peinture, sculpture et installation – ce qui remet enquestion la qualité d'oeuvre en soi. La mise en scène de Reyle souligne donc sesoeuvres par le biais d’une combinaison et les intègre dans cet environnement grâce àdes correspondances inattendues.

Cette stratégie interactive donne lieu à quelque chose qu’Anselm Reyle a déjà utilisépour chacun de ses travaux : dans ses « Stripes Painting » et ses peintures plusgestuelles, mais aussi avec ses sculptures néon, il n'est pas question decompositions traditionnelles mais plutôt de la création d'un espace en couleurs etdonc de la remise en question de la compréhension habituelle de la composition.Reyle appréhende les motifs de l'abstraction comme des objets trouvés afin de lesprésenter sous un nouveau jour en les vidant et en les chargeant, les intensifiant.Lorsqu’il appréhende le Tachisme ou la Colourfield Painting, lorsqu'il remet en scènedes sculptures informelles, lorsqu'il travaille avec des objets trouvés ou qu’il alliedans ses « Material Paintings » la peinture à des débris, à des cailloux et à de laferraille, il adapte des gestes emphatiques, il les vide tout en augmentant leur impactet leur effet. « Ce qui m'intéresse, c'est quelque chose qui a la qualité d'être uncliché », affirme Reyle. « J'essaye de capter le noyau et de le faire ressortir de tellemanière à susciter des émotions.»

L’exposition « White Earth » est elle aussi un espace-image extrêmement soigné, unarrangement installatif d'oeuvres, de formules et d’objets trouvés qui se combinenten une « coloration globale » complexe tant conceptuelle qu'atmosphérique. Lecoeur de l'exposition, qui lui a donné son nom, est une nouvelle série de « MaterialPaintings » de grand format que Reyle a élaborées à partir d’une peinture épaisse(« White Earth »). Il a placé ces peintures au ton clair, ainsi que deux sculptures,dans la pièce centrale de l’exposition – la seule à être éclairée par la lumière du jour.Reyle a peint avec générosité le tableau d’environ 250 x 200 cm de cette peintureépaisse, y a inscrit sa gestuelle à l’aide d’une spatule et d’un racloir puis l'a recouvertde plusieurs couches de vernis semi-transparents, un vernis nacré pour voiture qui,suivant l’angle de vue, brille de différentes couleurs. Sur d’autres oeuvres « WhiteEarth », Reyle a appliqué par exemple des déchets tels que de la ferraille rajoutantainsi du relief à la peinture ou a pourvu une autre oeuvre de cette série d'éclats demiroir et d’un cadre réfléchissant. De cette façon, il développe des groupes depeintures qui possèdent de nombreuses similitudes tout en évitant la sérialité. Ici,par exemple, Reyle dispose à côté de ces oeuvres blanches une « Stripes Painting »au ton clair dans un cadre d’acier poli et présente au bout de la pièce une « FoilPainting allover » dans un boîtier acrylique de couleur jaune néon comme uneexagération quasi-sacrale d’une grande image continue. Une sculpture en miroirmoderniste ainsi qu’une sculpture qu’il crée à partir d’une petite sculpture africainepour touristes. Après avoir été coulé en bronze, cet agrandissement est recouvertd’un vernis métallique argenté aux effets de prisme. Au final, la pièce devient unmélange de grandeur, d’effets et de pseudo-glamour difficile à appréhender.

Dans la salle du rez-de-chaussée, Anselm Reyle formule cette stratégie d’une autremanière : il y laisse interférer par exemple de la ferraille et d’autres débris demachinerie qui gisent sur le sol taché de couleurs néon éclairés avec de la lumièrenoire. Difficile de dire ce qui est devenu art et ce qui était autrefois des déchets ;l'intervention minimale invasive de Reyle combine les objets trouvés pour donner vieà une structure spatiale informelle.

Chez Reyle, cette manière d’utiliser la lumière renvoie toujours à la peinture. Ceci seremarque également dans son installation formée de modules carrés servant àrevêtir les façades d’immeubles. Reyle a trouvé par hasard ces éléments deconstruction au design est-allemand rappelant l’Op Art, les a fait agrandir et les afait préparer en surface, leur donnant un aspect rouillé. De cet accrochageconsciemment lacunaire se dégage une impression vague de composition évoquantun revêtement mural délabré. Au dos, les éléments sont équipés d’un éclairage LEDcoloré, changeant de couleurs et de tonalités de manière continue, qui fait entrer enconfrontation l'aspect rouillé avec une combinaison de tons lilas, jaune, vert etorange typiques de l’artiste.Avec l’exposition « White Earth », Reyle a élargi de manière artistique les frontièresconventionnalisées du goût. S'il utilisait autrefois par exemple les couleurs néon« comme une guitare électrique réglée à fond », il met aujourd’hui en scène descombinaisons plus sophistiquées et marie la matière blanche épaisse, les vernis,cadres d'acier massif, ferraille, airbrush et éclairage LED. « Travailler avec l’excessif,cela fait partie de mon travail », a déclaré Anselm Reyle, « c’est un exercice périlleuxqui peut vraiment faire mal. » Avec « White Earth » en tant qu’installation complète,cette stratégie se déploie de manière aussi surprenante qu’impressionnante.
 

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