Geert Goiris
13 Apr - 26 May 2007
GEERT GOIRIS
"Frontier"
April 13 - May 26
opening reception April 12, 6p.m.
Le travail de Geert Goiris a toutes les propriétés d’une photographie documentaire. Ses images sont un regard sur le monde. Elles se présentent sous forme de description. Tout fait croire à l’observation: le format, la composition bien ordonnée, le point de vue naturel. Ce qui est, est. C’est une photographie claire, sans maquillage ni parure. Il semblerait qu’il s’agisse d’un observateur fidèle. Mais ce n’est qu’une apparence.
Le spectateur se rend compte aussitôt que sa première constatation n’est pas la bonne. Car au lieu d’avoir prise sur le monde, de retenir et de conserver un fragment du monde, le monde se dérobe. Quelque chose qu’il ne parvient pas à cerner s’introduit furtivement.
En effet, rien de ce monde ne semble particulièrement intéresser Geert Goiris. Il capte sans préférence, dirait-on. Ce qui est en contradiction flagrante avec toute ambition documentaire. Parfois, la photo a pour sujet l’espace naturel ouvert, soit immaculé (Sphinx), soit chargé d’artefacts (Time Warp). Parfois, le regard panoramique cède la place à l’observation rapprochée (Solitary Tree et Desert Tree) ou tellement détaillée qu’une branche devient un jeu de lignes (Burgos #1 et #2). Il y a des images de monuments architecturaux (Junkerhaus et Door). Exceptionnellement il s’agit d’un exploit technique (Beluga), d’un objet ou d’un ensemble d’objets peu précis (Fool’s Gold). Et quand nous croyons avoir trouvé le lien – l’absence de la figure humaine – nous rencontrons un homme dans un intérieur (In Aralsk et In Tashkent). En fait, tout y est exception. Bref, quelque chose nous échappe. Il y a une absence. Il s’agit précisément de cela: de ce qui se dérobe à nous, non par hasard, mais par force. Nous sentons que ‘quelque chose’ relie ces images entre elles, mais nous ne savons pas quoi. Ce qui compte n’est pas ce que Goiris décrit. Mais ce qui s’y cache. Et qui ne peut être montré d’aucune autre manière que comme ce qui se dérobe à nous.
Les images de Geert Goiris ont cette propriété remarquable de se soustraire à toute structure narrative. Ce qui les rend étranges, c’est que nous n’éprouvons pas le besoin de nous demander ce qui précède ou ce qui suit ce moment particulier. Elles sont coupées, aussi bien de l’avant que de l’après.
Le temps est un paradoxe. Il n’existe que comme frontière. Seul existe le maintenant. Nous nous souvenons du passé, nous prévoyons l’avenir. Ce sont des opérations mentales. Le seul temps réel est le hic et nunc. Mais il est insaisissable. A l’instant d’apparaître, il disparaît. Tantôt il n’était pas encore. Et déjà il n’est plus. Le maintenant n’existe que comme séparation entre le temps étendu des deux côtés. Il n’est qu’un instant frontalier infinitésimal. Il est un rien du tout, un rien et un tout. On ne peut en faire l’expérience que comme non-existence.
Ce moment frontalier du temps rejaillit sur l’espace. Le temps se réduit à moins qu’un instant. Le ‘il y a’ du monde est moins encore qu’un point. Alors le miracle se produit. C’est comme si d’un coup le monde retenait son haleine. En se libérant du temps linéaire, le monde devient seuil: il se manifeste dans son ‘être-là’, dans son mystère ultime. Il n’est plus ce coin défini, il devient un ailleurs. ‘Rencontrer’ signifie alors: cet instant extrêmement rare et toujours unique où un détail permet au monde de s’offrir à nous dans sa pleine dimension. L’œuvre de Geert Goiris n’est pas un document photographique. Mieux vaut l’appeler une ‘rencontre photographique’.
Il est impossible d’aller à la recherche de ce moment unique. Tout au plus advient-il. Nous nous heurtons à lui, comme à un don. Il est comme un hapax. Ce terme linguistique désigne un mot qui ne se rencontre qu’une seule fois dans la suite d’un texte. Ainsi le monde, tel que nous le percevons d’habitude, est un texte ininterrompu dans le temps et dans l’espace. Là, soudainement et imprévisiblement, l’unique se produit. A de rares occasions, le monde nous interpelle. Dans ce sens, chaque image de Geert Goiris est comme un hapax.
Bien que sa photographie essaie de fixer ce moment extraordinaire, elle ne peut nous montrer que sa disparition. Ou à nous le montrer en train de disparaître. De la sorte elle est toujours à nouveau appelée à aller à l’encontre de cette présence absente, à la posséder et à la perdre au moment précis où elle croit avoir pris possession d’elle. Cela fait de chaque adieu une espérance et une attente.
Francis Smets
"Frontier"
April 13 - May 26
opening reception April 12, 6p.m.
Le travail de Geert Goiris a toutes les propriétés d’une photographie documentaire. Ses images sont un regard sur le monde. Elles se présentent sous forme de description. Tout fait croire à l’observation: le format, la composition bien ordonnée, le point de vue naturel. Ce qui est, est. C’est une photographie claire, sans maquillage ni parure. Il semblerait qu’il s’agisse d’un observateur fidèle. Mais ce n’est qu’une apparence.
Le spectateur se rend compte aussitôt que sa première constatation n’est pas la bonne. Car au lieu d’avoir prise sur le monde, de retenir et de conserver un fragment du monde, le monde se dérobe. Quelque chose qu’il ne parvient pas à cerner s’introduit furtivement.
En effet, rien de ce monde ne semble particulièrement intéresser Geert Goiris. Il capte sans préférence, dirait-on. Ce qui est en contradiction flagrante avec toute ambition documentaire. Parfois, la photo a pour sujet l’espace naturel ouvert, soit immaculé (Sphinx), soit chargé d’artefacts (Time Warp). Parfois, le regard panoramique cède la place à l’observation rapprochée (Solitary Tree et Desert Tree) ou tellement détaillée qu’une branche devient un jeu de lignes (Burgos #1 et #2). Il y a des images de monuments architecturaux (Junkerhaus et Door). Exceptionnellement il s’agit d’un exploit technique (Beluga), d’un objet ou d’un ensemble d’objets peu précis (Fool’s Gold). Et quand nous croyons avoir trouvé le lien – l’absence de la figure humaine – nous rencontrons un homme dans un intérieur (In Aralsk et In Tashkent). En fait, tout y est exception. Bref, quelque chose nous échappe. Il y a une absence. Il s’agit précisément de cela: de ce qui se dérobe à nous, non par hasard, mais par force. Nous sentons que ‘quelque chose’ relie ces images entre elles, mais nous ne savons pas quoi. Ce qui compte n’est pas ce que Goiris décrit. Mais ce qui s’y cache. Et qui ne peut être montré d’aucune autre manière que comme ce qui se dérobe à nous.
Les images de Geert Goiris ont cette propriété remarquable de se soustraire à toute structure narrative. Ce qui les rend étranges, c’est que nous n’éprouvons pas le besoin de nous demander ce qui précède ou ce qui suit ce moment particulier. Elles sont coupées, aussi bien de l’avant que de l’après.
Le temps est un paradoxe. Il n’existe que comme frontière. Seul existe le maintenant. Nous nous souvenons du passé, nous prévoyons l’avenir. Ce sont des opérations mentales. Le seul temps réel est le hic et nunc. Mais il est insaisissable. A l’instant d’apparaître, il disparaît. Tantôt il n’était pas encore. Et déjà il n’est plus. Le maintenant n’existe que comme séparation entre le temps étendu des deux côtés. Il n’est qu’un instant frontalier infinitésimal. Il est un rien du tout, un rien et un tout. On ne peut en faire l’expérience que comme non-existence.
Ce moment frontalier du temps rejaillit sur l’espace. Le temps se réduit à moins qu’un instant. Le ‘il y a’ du monde est moins encore qu’un point. Alors le miracle se produit. C’est comme si d’un coup le monde retenait son haleine. En se libérant du temps linéaire, le monde devient seuil: il se manifeste dans son ‘être-là’, dans son mystère ultime. Il n’est plus ce coin défini, il devient un ailleurs. ‘Rencontrer’ signifie alors: cet instant extrêmement rare et toujours unique où un détail permet au monde de s’offrir à nous dans sa pleine dimension. L’œuvre de Geert Goiris n’est pas un document photographique. Mieux vaut l’appeler une ‘rencontre photographique’.
Il est impossible d’aller à la recherche de ce moment unique. Tout au plus advient-il. Nous nous heurtons à lui, comme à un don. Il est comme un hapax. Ce terme linguistique désigne un mot qui ne se rencontre qu’une seule fois dans la suite d’un texte. Ainsi le monde, tel que nous le percevons d’habitude, est un texte ininterrompu dans le temps et dans l’espace. Là, soudainement et imprévisiblement, l’unique se produit. A de rares occasions, le monde nous interpelle. Dans ce sens, chaque image de Geert Goiris est comme un hapax.
Bien que sa photographie essaie de fixer ce moment extraordinaire, elle ne peut nous montrer que sa disparition. Ou à nous le montrer en train de disparaître. De la sorte elle est toujours à nouveau appelée à aller à l’encontre de cette présence absente, à la posséder et à la perdre au moment précis où elle croit avoir pris possession d’elle. Cela fait de chaque adieu une espérance et une attente.
Francis Smets