Le Confort Moderne

Yann Gerstberger

14 Mar - 04 May 2014

Yann Gerstberger, Terremoto Globo Grnnnd, photo : G. Chiron
YANN GERSTBERGER
Terremoto Globo Grnnnd
14 mars au 4 mai 2014

Entretien avec Yann Gerstberger (extraits)

C’est une exposition qui s’appelle « Terremoto Globo Grnnnd ». En espagnol ça veut dire tremblement de terre. J’ai vécu un tremblement de terre assez fort cet été à Mexico. Un 6.8 je crois. C’est une chose que je n’avais jamais vécue auparavant et son intensité m’a donné l’envie de faire des sculptures post tremblement de terre, qui donnent la sensation qu’elles ont été gigotées, bougées et qu’elles sont fatiguées à cause des mouvements sismiques. C’est aussi un prétexte, parce que Globo Ground est une chaîne internationale de transport de bagages. C’est une société qui travaille avec les aéroports et qui fait la manutention des sacs : quand tu mets ton sac à l’aéroport et qu’ensuite tu le retrouves ailleurs et qu’il se balade. Et Globo Ground c’est une société allemande qui fait bouger les sacs. C’était l’idée de global qui m’intéressait par rapport au fait que aujourd’hui j’habite à Mexico et que j’essaie de faire en sorte que dans mon travail il y ait l’idée de global dans le sens de globalisation, dans le sens d’une sculpture internationale avec plein d’entrées et qui fait référence à plein de cultures diverses et pas juste à des références françaises ou artistiques. C’est une espèce de mélange et « Terremoto Globo Grnnnd » c’est cette idée d’un gros milk-shake d’influences.

TAPISSERIES
Ce sont des tapisseries que j’ai faites à Mexico. C’est un peu le cœur de l’expo et ça fait deux ans que je bosse dessus. Ce sont des grands collages que je fabrique à partir de matériaux pas cher que j’achète à Mexico comme par exemple de la serpillière de coton que j’achète en grosse boule à la Merced ou à côté (gros marché de Mexico). Ce coton je le teins. C’est un procédé artisanal indien et hispanique qui s’appelle la grana cochinilla. C’est un parasite du cactus : un colorant animal. C’est un insecte qui dévore les cactus et qui quand il est traité, séché puis pilé donne un rouge fuchsia très intense qui a la propriété d’être hyper durable dans le temps. Ils ont retrouvé des textiles préhispaniques très très anciens qui ont gardé leur couleur rouge. Alors que les colorants synthétiques passent beaucoup plus vite. C’est donc une série de tapisseries avec beaucoup de rouge, de rose et de déclinaison de cochenille. Quasiment tous les rouges et roses c’est ce colorant-là mélangé à d’autres colorations beaucoup plus banales. Par exemple des colorants pour faire des tee-shirts de Hippies qui s’appellent mariposa, citocol ou el caballito (le petit cheval). Ces tapisseries c’est aussi un mélange de pleins d’influences graphiques. Ça a commencé il y a deux ans lors d’une résidence à Marrakech (Dar Al-Ma’mûn) où j’ai fait des collages avec des serpillières. J’essayais de faire des choses inspirées des tapis Boucherouites et berbères. Les tapis Boucherouites c’est la nouvelle génération de tapis faits au Maroc mais plutôt par les berbères et uniquement par les femmes qui reprennent des motifs ancestraux. Ces tapis sont devenus à la mode dans les boutiques de design. Ça coûte cher parce qu’ils sont réalisés uniquement par des femmes dans des sociétés fermées et hermétiques aussi parce que dans le monde musulman la représentation humaine est quasiment bannie. Tu n’as jamais de figures. Ce sont des tapis abstraits. Les tapis berbères ont aussi la particularité d’être asymétriques, éclatés avec parfois des formes féminines, des symboles de fertilité, de maternité, d’accouchement, de vagins cosmiques.
Mes tapis sont donc des hybrides de tapis arabes et d’autres influences, notamment de bandes dessinées. Les « Fabulas Panicas » d’Alejandro Jodorowsky sont des dessins qu’il a faits pendant dix ans publiés dans un journal appelé le Heraldo de Mexico. Toutes les couleurs ont ce truc buvard, c’est un peu pisseux, fané, vieilles couleurs. Finalement je me suis rendu compte qu’avec les colorations textiles je n’avais jamais les mêmes couleurs qu’avec la peinture. J’avais l’impression que c’était hyper pétant avec des couleurs déjà un peu fatiguées. Pour revenir aux « Fabulas Panicas » ce sont des gammes chromatiques assez similaires aux couleurs des dessins de Jodorowsky. Il y a aussi dans les tapisseries des motifs qui viennent des « Fabulas Panicas » mais que j’ai remixés, que j’ai inversés. Ou des petits éléments éclatés que tu peux retrouver par ci par là.
Le travail de tapisserie parle de peinture. J’ai un fantasme de peinture. Ça fait cinq, six ans que j’ai montré beaucoup de sculptures alors que je viens du dessin quand même à la base et du graffiti et d’un truc plus pop ou lié à l’image, et que là ce qui est cool avec les tapisseries c’est que je suis toujours dans une pratique assemblagiste et de collage mais qui fait image. De la 3D plate. Ce qui est intéressant c’est que la pratique de collage fait le lien avec les sculptures et les installations et ma pratique en général fonctionne beaucoup sur ce truc de collage et d’assemblage.

SCULPTURES
Le set de sculptures que je présente a été réalisé sur place, produit avec les matériaux trouvés ici. Ce sont des objets remixés et agencés, des objets assez pauvres avec le fantasme de faire des sculptures avec des matériaux qui ne sont pas nobles. L’économie de moyen est assez importante dans mon travail. L’idée que tu n’as pas besoin d’être riche ni de faire appel à d’autres gens pour la production. Que ça reste toujours artisanal : hecho a mano (fait à la main). Et crafty, art&craft, des objets qui sont manipulés, qui sont remixés : la culture du Tie-dye, les dream-catcher... il y a des tas de choses. J’aime ce qu’on appelle les shimes qui sont des assemblages de bambous que l’on accroche et qui font dingglingidigling. Finalement ce sont des procédés que j’essaie d’incorporer à ma sculpture pour leur donner de la légèreté avec toujours le fantasme que ça puisse sortir du champ de l’art contemporain, même si ça ne marche pas toujours. J’espère ne pas faire référence directement à la sculpture minimale que je hais. Par contre, il y a des clins d’œil ou des inspirations fortes comme la scène Black de Los Angeles qui est complètement sous-estimée. Quand tu penses aux sculpteurs de Los Angeles tout le monde pense à des blancs-becs. Or pendant les années 70 il y a eu toute une scène engagée qui faisait de la sculpture assemblagiste. Je pense à des mecs comme David Hammons, mais aussi à plein d’autres artistes qui sont un peu tombés dans l’oubli ou qu’on connait moins, Noah Purifoy, John Outerbridge, Senga Nengudi. Ils font une sculpture qui parle de leurs racines et qui était à contre-courant en Californie qui s’associe à l’idée de rituel, d’une sculpture magique, voodoo, animiste, spirituelle, à incantation. Tout ça ce sont des choses auxquelles je pense quand je travaille.
Ensuite, on a commencé à couler des traversins, des oreillers dans du béton pour faire des socles. Ça ramène à des formes assez mortuaires comme des dalles tombales, à des influences mexicaines, à la fête des morts. Le fait de célébrer la mort de manière joyeuse et presque infantile. Certaines pièces ressemblent à des tombes pour enfants sans que ce soit morbide. C’est inspiré par des formes que j’ai vues dans les cimetières pendant la fête des morts. Les gens veillent pendant une semaine. Et ça donne lieu à l’apparition de tout un tas de formes mortuaires que j’ai essayé de remixer.
Le torchis, la paille et l’eau, participent de la volonté de travailler avec des matériaux économiques, voire gratuits. La terre c’est gratuit, on l’a récupérée à la campagne. On a pris trois seaux de terre, ce n’est même pas du vol. La terre sert aussi de lien, ça fait image, sculpture. C’est un matériau très facile à utiliser. Tu peux en mettre un peu partout. Ça se ballade. C’est un matériau à la fois sale et propre. Le statut de la terre.... Je ne sais pas ??? ...
Les jean’s c’est un peu pareil. Un moment j’ai pensé que « Terremoto Globo Grnnnd », le point de départ, serait un hommage à Jodorowsky. Pas à lui en tant que réalisateur de cinéma mais des « Fabulas Panicas » et une vignette en particulier, un dessin où il y a une espèce de moralisateur. Un petit personnage qui se balade dans le désert et qui tombe sur un chantier où des mecs sont sur un échafaudage en train de construire des cercles. On ne sait pas très bien quelle est la matière parce qu’ils sont à l’arrière-plan. Il dit : « Que circulos imperfectos hacen, los despercio ». Ce qui veut dire « Quels cercles imparfaits ils sont en train de faire, quels cercles mal faits ils construisent, je les méprise ». J’aimais bien l’idée qu’un personnage parle de son feeling par rapport à des formes qu’il pourrit. Ça me donnait comme leitmotiv de reproduire des cercles imparfaits, des sculptures mongoloïdes qui ne sont pas forcées de séduire le spectateur. Comme une métaphore du spectateur, la balançoire bleue est toute tordue et on s’en fout un peu. Ce n’est pas une exposition qui parle Jodorowsky. C’est une entrée pour parler de ces sculptures.
J’ai une théorie... Je vais faire simple. J’aimerais parler d’internet, de ce qu’on appelle le post-internet, de sculpture d’images...
La passerelle, la salle noire, ça va dans le sens du fantasme de faire une sculpture tropicale qui ne tombe pas dans l’écueil d’un cocotier avec des tubes de néons. Toujours avec des matériaux pauvres et cheapos. La passerelle officie comme un passage pseudo magique. De l’entrée du Confort jusque dans la salle du fond. C’est une passerelle lumière. C’est juste un passage assez doux je pense qui fait le lien à la fois dans l’espace et entre les sculptures et les tapisseries.
Le truc de l’internet et du post internet, c’est une notion que je trouve assez crétine en fait et qui en même temps fait sens parce que depuis que je suis étudiant j’ai toujours été collé à internet. C’est une manière de voir les expositions que de t’approprier plein de choses que tu ne comprends même pas. Juste des formes qui défilent.

DOODLING
«Shopping Bag Spirits and Freeway Fetishes» 1979 (Barbara McCulloughs)
Cette bande se compose d’extraits d’interviews d’artistes comme David Hammons qui parle de sculptures rituelles sur un rond-point. C’est une vidéo magnifique où il déplace des petits cailloux et des briquettes en prarlant. C’est poétique. Et tu as ce truc du clochard céleste. C’est assez sauvage, décalé. Ah, je n’arrive plus à tout connecter dans ma tête. La bande-son diffuse du son d’interviews, du son pris sur des vidéos de présentations d’Halloween, un peu train fantôme, un peu film d’horreur mais de loin...
Je pense que ça serait aussi un liant, tu peux être dans toutes les salles et tu l’entends en background...

EBONICS
Ce sont des sculptures qui incorporent des formes de sculptures populaires avec toujours un truc crafty et toujours avec l’envie de ne pas faire une sculpture mâle dans le sens masculine, macho avec des matériaux durs, lourds et posés et de faire plutôt une sculpture éclatée et légère. Pas de l’anti-sculpture mais de la sculpture fine. J’ai pensé à ça pour toutes les pièces. Etre dans des manipulations différentes, moins soclées, moins érigées. On peut dire que c’est de la sculpture de carnaval trouvé, d’artiste anonyme remixé réagencé. On peut presque parler de statuaire. Ce sont des formes humaines et anthropomorphiques réalisées par Zarcos, un artiste du coin. C’est entre de la statuaire, la sculpture pour jardin botanique un petit peu mignonne avec des nénuphars, je pense à un parc précisément à Mexico qui s’appelle Xochimilco où il y a ce type d’environnement.
La première salle va fonctionner sur ce truc intérieur extérieur. Des sculptures que tu pourrais avoir dans ton jardin. Un peu de la sculpture naturaliste avec des matériaux végétaux comme le torchis, les lianes qui se mélangent et font référence à la sculpture primitive. Je ne sais même pas de quel pays, en tous cas primitive. C’est bien de parler du primitif. J’ai envie qu’il y ait cette énergie-là dans les pièces.

LE MOT DE LA FIN
J’habite à Mexico, c’est quand même important.... Le mot de la fin c’est ça. C’est le fait...
Comme j’habite à Mexico depuis deux ans la scène artistique est composée très différemment de la scène française. Il y a des artistes importants et que tout monde regarde dont Francis Alÿs et Gabriel Orozco qui sont les papas d’une sculpture que je trouve tropicale, ghetto et favela. C’est-à-dire une sculpture qui regarde vers le sud. On a compris que c’était le monde occidental qui régissait et qui était même à l’origine de l’invention de l’art contemporain. Comment est-ce que tu peux faire une sculpture qui ne parle pas d’art contemporain ? Comment est-ce que tu peux t’inspirer de cultures dont tu ne viens pas, notamment la culture indienne parce que moi je suis français ? Je suis un petit blanc même si j’ai des origines corses et que mon arrière-grand-mère est vietnamienne, j’ai fait mes études aux beaux-arts de Nantes et à Marseille. Comment est-ce que tu peux faire une sculpture multiculturelle qui fait référence directe à des cultures dont tu ne viens pas du tout, sans être un colonialiste ou dans des gestes post-coloniaux ? Pas des mea culpa parce que c’est pas ma faute Christophe Colomb mais juste des clins d’œil. Comment tu peux te servir d’un matériau world qui est en fait XXL d’une manière positive et joyeuse ?
 

Tags: Francis Alÿs, David Hammons, Li Hui, Alejandro Jodorowsky, Senga Nengudi, Gabriel Orozco, Noah Purifoy