Frac des Pays de la Loire

For Whom Is It Too Late Today?

06 Nov 2009 - 31 Jan 2010

cliché Mathieu Génon, © Frac des Pays de la Loire
FOR WHOM IS IT TOO LATE TODAY?
Between Stamp and Mars
exposition du 6 novembre 2009 au 31 janvier 2010

Artistes invités : le collectif HA ZA VU ZU
Emir Ozer, Sukru Ozgur Erkok, Guclu Oztekin, Mert Oztekin, Gunes Terkol

Commissariat d’exposition : Vasif Kortun

Pionnier en ce domaine, le Frac des Pays de la Loire a initié les Ateliers Internationaux dès 1984, à l’abbaye de Fontevraud. Le Frac des Pays de la Loire développe par cette expérience exceptionnelle en France une activité de soutien à la création qui contribue à enrichir sa collection de manière originale. Lieu de recherche, d’échanges et de production, ces Ateliers sont un laboratoire actif et réactif.

Les artistes invités offrent au public la restitution filtrée de ce temps d’énergie en une œuvre et sa prolongation dans l’exposition, conçue comme une rencontre dynamique.

Cette nouvelle édition des Ateliers internationaux réunit pour la première fois un collectif. Cette année 2009 et pour la quatrième fois dans l’histoire des Ateliers, un commissaire d’exposition, Vasif Kortun, directeur du Platform Garanti, Centre d’Art Contemporain à Istanbul, est invité à sélectionner les artistes.

Le collectif Ha Za Vu Zu, composé d’un «noyau dur» de 5 artistes turcs, Emir Ozer, Ozgür Erkök, Güçlü Oztekin, Mert Oztekin et Günes Terkol, réuni depuis 2005, est basé à Istanbul. Cette exposition au Frac des Pays de la Loire, s'insère dans leur récent parcours européen. Le collectif a réalisé une performance pour l'ouverture de la Xème Biennale de Lyon, et participe à «Urban Stories», la Xème Triennale Internationale d'Art à Vilnius, capitale européenne de la culture en 2009.

Leur pratique de la performance s'apparente à l'art intermedia, défini par le concept de Dick Higgins comme un «art frontière» qui convoque la peinture, la photographie, la vidéo, la musique, aussi bien que le karaoké.

Selon les projets, ils peuvent être rejoints par d’autres artistes. Certains thèmes sont déterminés en amont, mais ce que les nouveaux venus apportent avec eux est toujours intégré à la réalisation, pour peu que cette contribution enrichisse le projet. Dans cette perspective, Ha Za Vu Zu ne se concentre pas simplement sur son projet initial mais aussi sur les activités pouvant procurer de l’énergie au groupe.

Ainsi à l'occasion de Collections d'Automne, les artistes ont sollicité l'équipe du Frac pour participer à une performance sonore, orchestrée et adaptée en amont par les artistes.

Pour la salle Jean-François Taddei, au Frac des Pays de la Loire, Ha Za Vu Zu présente des œuvres conçues pendant leur résidence, dont les dimensions apprivoisent l'étendue de l'espace d'exposition. Chaque œuvre, par la convocation de médiums variés, relate leur imaginaire tout azimut. Cette profusion créatrice, tâches de couleurs, motifs bariolés, et pochettes de disques en plastique, réalisées à la main, se trouve condensée sur la scène accueillant leur concert, donné le soir du vernissage. Cet espace scénique dynamique cristallise les processus créatifs instaurés par ce collectif tout au long de leur résidence. Leur présence à Carquefou se prolonge grâce à la trace laissée par cette scène colorée. Chaque visiteur peut s'il le souhaite décrocher la pochette de disque de son choix, se diriger vers l'accueil du Frac pour y acquérir l'album original d'Ha za vu zu, et l'introduire dans cette pochette. Cet enregistrement inédit, né au fil de leurs répétitions, s'inscrit comme une réminiscence sonore de leur résidence. L'énergie d'Ha za vu zu a su vivifier et coloriser intensément le Frac, à travers diverses démarches artistiques.

Dès l'entrée la luxuriance des lignes colorées et concentriques semble flotter sur le mur, devenu ainsi feuille blanche pour ce wall-drawing. Ce dessin monumental fait écho à la mire de leur passeport, dont les couleurs chamarrées et vives servent de support à la photo d'identité. Cette animation chromatique prend encore davantage de relief, par la présence centrale d'une tête, sculptée en ciment. Cette effigie entre chien et loup paraît surgir du mur en béton pour émerger dans l'espace d'exposition. Au commencement, la matière. Le revêtement froid du mur prend vie pour s'incarner dans cette tête hybride.

Un peu plus loin, la photographie d'une limousine fictive s'étend avec aisance sur le mur au même titre que le tissu cousu main ayant servi à sa réalisation. Cette voiture irréelle a déposé dans la salle sa peau blanche après s'en être dévêtue, tel un serpent après sa mue.

Par contraste une autre image, de petite taille, attire le regard. Il s'agit d'une photographie aux tons sombres, dotée d'un cadre sobre. Le même tissu a été employé pour réaliser cette pose nocturne, convoquant comme unique source lumineuse, les phares de trois voitures. L'ambiance mystérieuse de cette image s'approprie presque le caractère mystique propre au paysage romantique, qui exacerbe l'aspect spirituel d'une nature austère et hostile. Il se dégage alors de cette composition aux accents dramatiques le présage de la suprématie de la nature, confirmant simultanément la solitude de l'homme.

La précarité de l'humain, au sein de cet univers, s'appréhende ainsi aisément à l'approche de la flaque de paraffine, emprisonnant un visage en son centre, illusion d'un noyé figé sous des eaux gelées. Entre le charme évident de cette coulée transparente et l'annonce d'une chute tragique, cette sculpture répandue à même le sol de béton confirme notre présence transitoire sur cette terre.

D'ailleurs sommes-nous bien toujours sur la planète bleue, ou n'avons-nous pas décollé vers d'autres contrées extraterrestres? Between stamp and Mars comme le scande l'étendard dominant la scène de musique. De la séduction patente et contagieuse de leurs œuvres s'extirpe rapidement une inquiétante étrangeté. L'ambiance colorée nimbant l'espace d'exposition renforce ce sentiment mystérieux propre à l'entre-deux. Une tension palpable anime l'ensemble de leurs réalisations, dont la spontanéité de l'expression revêt la qualité suprême de tout être vivant subséquemment périssable. Bien davantage que des vanités, cinglant des memento mori, les processus à l'œuvre ici caractérisent l'effervescence créatrice de ce jeune collectif, agité par l'envie de communiquer. L'apparente économie de moyens à l'œuvre dans chacune des productions met, plus que tout, en évidence leur autonomie artistique. Il serait plus juste de considérer cette contrainte matérielle à l'aune de leur démarche, mise au service d'une réalisation authentique.

L'éclectisme de leur pratique déborde jusqu'au jardin enserrant le bâtiment du Frac, puisque les cinq artistes ont estampillé sur l'herbe l'empreinte fugitive d'un avion de ligne de type A320 ou Boeing 737, effectuant des vols de court à moyen-courrier. À l'image de leur présence à Carquefou, ils laissent ici un stigmate de leur passage, une trace aussi éphémère qu'une mélodie, dont l'air s'imprime dans nos mémoires.

Ha Za Vu Zu serait en quelques sorte un «corps à l’œuvre», un processus usant avec flexibilité de différents médiums. Il n’est pas seulement un archétype d’organisation horizontale ou verticale mais vise une harmonie à la fois physique et idéologique. Ha Za Vu Zu, pour qui l’absence volontaire de hiérarchie permet la création d’univers sonores et visuels très inattendus, se voit comme un lieu foisonnant de collaborations et d’échanges d’idées. Les œuvres du collectif se situent ainsi entre la performance et l’agit-prop*, l’humour et l’organisation de soirées déjantées.

Elles relèvent davantage de l'"œuvre ouverte", au sens où l'entend Umberto Ecco: « il n'y a pas de modèle unitaire, c'est un art caméléon qui s'adapte et se modifie.»

*agitation couplée de propagande: À l'origine l'agit-prop correspond à un théâtre d’intervention politique né en URSS, au début des années 1920, et destiné à mobiliser les citoyens suivant les consignes du département du Comité central chargé de l’agitation et de la propagande, lequel agissait également dans les secteurs de la presse, de la recherche scientifique et de l’enseignement.

Texte : Chloé Orveau
 

Tags: Dick Higgins, Güçlü Öztekin