Hommage à Cristof Yvoré
14 - 30 Mar 2014
Sans titre, 2013. Huile sur toile de lin apprêtée,
châssis en bois industriel, 66,5 x 85,5 x 4,2 cm. Courtesy Zeno x Gallery, Anvers / Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur. Photo : J-C. Lett
châssis en bois industriel, 66,5 x 85,5 x 4,2 cm. Courtesy Zeno x Gallery, Anvers / Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur. Photo : J-C. Lett
HOMMAGE À CRISTOF YVORÉ
14 — 30 mars 2014
Présentation des peintures acquises en 2012 par le Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur
Dans les toiles de moyen et petit format sur lesquelles s’accumulent les couches de peinture jusqu’à saturation totale, il n’y a rien de moderne, de numérique ou de photographique. Elles sont au contraire intemporelles, comme si leur existence même venait défier toute notion d’évolution et de progrès dans l’histoire de l’art. Dans les peintures de Cristof Yvoré il y a des vases de fleurs, des recoins, des ballons au plafond, des assiettes vides, des pots et des bocaux, des gros plans de fruits ou de légumes qui n’existent que par leur présence sur la toile, évacuant la figure ou le récit ; des non-lieux architecturaux et des natures mortes transformés en véritables objets de consommation visuelle, à tel point qu’il s’en dégage une impression constante de déjà-vu. L’équilibre subtil entre les éléments de composition et le choix dissonant de couleur et de texture, ainsi que le caractère anonyme des images leur permet d’exister, pour chaque spectateur, comme des souvenirs ancrés, des non sujets occupant toujours notre inconscient. Rien à voir avec une quelconque forme de vision ésotérique ou mystérieuse, mais plutôt avec le fait qu’Yvoré peint à partir d’images de souvenirs vagues de lieux ou de natures mortes souvent anonymes, sans spécificités, dépouillées de tout détail singulier ou d’élément narratif.
Yvoré ne parle qu’à contrecœur des origines de son travail, qui se développe de manière cohérente depuis le début de sa carrière dans le champ de la figuration. « Le procédé de réalisation de chaque tableau est assez long ; je pense et repense la figure et l’arrière-plan et les couvre d’épaisses couches successives de peinture. En appliquant la peinture de manière aussi outrancière, je prends le risque qu’à tout moment le tableau se transforme en une vieille croûte. Je m’amuse de la possibilité d’atteindre la limite au-delà de laquelle tout bascule dans le désastre complet. Une fois cette frontière atteinte, je peux décider de tout recommencer à zéro ou me contenter de continuer. »
Il y a dans son œuvre une connaissance intime de l’histoire de la peinture et de nombreuses références formelles. Mais si le travail de Cristof Yvoré peut se lire au travers du prisme de l’histoire de l’art, il est important de le confronter aussi à ses contemporains.
On peut citer comme source d’inspiration du travail d’Yvoré l’histoire de la peinture dans le sud de la France, et notamment l’héritage de « la touche constructive » et des couleurs pures de Cézanne, et mettre néanmoins sa production artistique en relation avec l’évolution de la peinture italienne du début du XXe siècle (Pittura Metafisica, Novecento Italiano), afin de comprendre la nature complexe de son travail. Si les belles et séduisantes peintures de Giorgio Morandi procèdent de nuances de demi-teintes en une unité singulière entre espace et objets, les œuvres d’Yvoré sont marquées par la présence sculpturale, centrale et archaïque de ces objets, qui se développe à travers le contraste des volumes, non sans évoquer certaines des premières expérimentations métaphysiques de Carlo Carra.
On peut considérer les peintures d’Yvoré comme des expériences obsessionnelles intérieures, loin des évolutions artistiques contemporaines. Son œuvre s’impose pourtant, après une analyse approfondie, comme une forme de pratique post conceptuelle. Cela devient évident lorsque l’on compare ses natures mortes à la production de Morandi. Là où le maître italien travaille dans un univers claustrophobe, où les natures mortes qu’il créée et représente de manière obsessionnelle constituent une limite existentielle à la définition de sa poétique, les objets qu’Yvoré choisit de peindre lui importent apparemment peu. Je dis apparemment car, même s’il est certain qu’aucune recherche ne préside au sujet ou au thème de ses peintures, il choisit sciemment de représenter des objets quelconques. Mais plutôt que de choisir des images chargées de significations ou d’émotions personnelles, Yvoré s’arrête à des souvenirs insignifiants ou, mieux, à des souvenirs abstraits de non-lieux qui permettent à la pratique picturale de prendre le pas sur le tableau lui-même.
Ilaria Bonaccosa
Directrice du Musée d’art contemporain Villa Croce, Gênes
Membre du comité technique d’achat
du Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur
Extrait d'un texte paru dans Cristof Yvoré, Roma Publications, 2013
—
L’artiste est représenté par
Zeno X Gallery, Anvers, Belgique,
qui lui consacre également un hommage :
Cristof Yvoré, Hommage,
5 mars au 12 avril , 2014
14 — 30 mars 2014
Présentation des peintures acquises en 2012 par le Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur
Dans les toiles de moyen et petit format sur lesquelles s’accumulent les couches de peinture jusqu’à saturation totale, il n’y a rien de moderne, de numérique ou de photographique. Elles sont au contraire intemporelles, comme si leur existence même venait défier toute notion d’évolution et de progrès dans l’histoire de l’art. Dans les peintures de Cristof Yvoré il y a des vases de fleurs, des recoins, des ballons au plafond, des assiettes vides, des pots et des bocaux, des gros plans de fruits ou de légumes qui n’existent que par leur présence sur la toile, évacuant la figure ou le récit ; des non-lieux architecturaux et des natures mortes transformés en véritables objets de consommation visuelle, à tel point qu’il s’en dégage une impression constante de déjà-vu. L’équilibre subtil entre les éléments de composition et le choix dissonant de couleur et de texture, ainsi que le caractère anonyme des images leur permet d’exister, pour chaque spectateur, comme des souvenirs ancrés, des non sujets occupant toujours notre inconscient. Rien à voir avec une quelconque forme de vision ésotérique ou mystérieuse, mais plutôt avec le fait qu’Yvoré peint à partir d’images de souvenirs vagues de lieux ou de natures mortes souvent anonymes, sans spécificités, dépouillées de tout détail singulier ou d’élément narratif.
Yvoré ne parle qu’à contrecœur des origines de son travail, qui se développe de manière cohérente depuis le début de sa carrière dans le champ de la figuration. « Le procédé de réalisation de chaque tableau est assez long ; je pense et repense la figure et l’arrière-plan et les couvre d’épaisses couches successives de peinture. En appliquant la peinture de manière aussi outrancière, je prends le risque qu’à tout moment le tableau se transforme en une vieille croûte. Je m’amuse de la possibilité d’atteindre la limite au-delà de laquelle tout bascule dans le désastre complet. Une fois cette frontière atteinte, je peux décider de tout recommencer à zéro ou me contenter de continuer. »
Il y a dans son œuvre une connaissance intime de l’histoire de la peinture et de nombreuses références formelles. Mais si le travail de Cristof Yvoré peut se lire au travers du prisme de l’histoire de l’art, il est important de le confronter aussi à ses contemporains.
On peut citer comme source d’inspiration du travail d’Yvoré l’histoire de la peinture dans le sud de la France, et notamment l’héritage de « la touche constructive » et des couleurs pures de Cézanne, et mettre néanmoins sa production artistique en relation avec l’évolution de la peinture italienne du début du XXe siècle (Pittura Metafisica, Novecento Italiano), afin de comprendre la nature complexe de son travail. Si les belles et séduisantes peintures de Giorgio Morandi procèdent de nuances de demi-teintes en une unité singulière entre espace et objets, les œuvres d’Yvoré sont marquées par la présence sculpturale, centrale et archaïque de ces objets, qui se développe à travers le contraste des volumes, non sans évoquer certaines des premières expérimentations métaphysiques de Carlo Carra.
On peut considérer les peintures d’Yvoré comme des expériences obsessionnelles intérieures, loin des évolutions artistiques contemporaines. Son œuvre s’impose pourtant, après une analyse approfondie, comme une forme de pratique post conceptuelle. Cela devient évident lorsque l’on compare ses natures mortes à la production de Morandi. Là où le maître italien travaille dans un univers claustrophobe, où les natures mortes qu’il créée et représente de manière obsessionnelle constituent une limite existentielle à la définition de sa poétique, les objets qu’Yvoré choisit de peindre lui importent apparemment peu. Je dis apparemment car, même s’il est certain qu’aucune recherche ne préside au sujet ou au thème de ses peintures, il choisit sciemment de représenter des objets quelconques. Mais plutôt que de choisir des images chargées de significations ou d’émotions personnelles, Yvoré s’arrête à des souvenirs insignifiants ou, mieux, à des souvenirs abstraits de non-lieux qui permettent à la pratique picturale de prendre le pas sur le tableau lui-même.
Ilaria Bonaccosa
Directrice du Musée d’art contemporain Villa Croce, Gênes
Membre du comité technique d’achat
du Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur
Extrait d'un texte paru dans Cristof Yvoré, Roma Publications, 2013
—
L’artiste est représenté par
Zeno X Gallery, Anvers, Belgique,
qui lui consacre également un hommage :
Cristof Yvoré, Hommage,
5 mars au 12 avril , 2014