In Situ

Khalil Joreige et Joana Hadjithomas

21 Jan - 13 Mar 2010

“Is There Anybody Out There?”

Is there anybody out there ? s’intéresse à la manière dont nous avons fait image ces dernières années, questionné la photographie, tenté différentes stratégies pour déplacer le regard, le nôtre mais aussi celui du spectateur.
Certaines photographies montrées ici datent de la fin des années 90, à un moment où l’on réfléchissait sur la ruine, sur la façon de la photographier.
Que ce soit la série des photos des Bestiaires (1997), des réverbères détournés et parfois détruits par la guerre ou par des accidents divers et qui, par la photographie, renvoient à un imaginaire personnel, comme un acte poétique ou Les équivalences (1997) s’attachant à une architecture devenue chaotique comme sens dessus dessous, toutes ces images interrogent le détail, le prélèvement photographié et la manière dont il s’affranchit de l’échelle et de la topographie, abstrait la matière pour aller contre les représentations attendues.
Le projet Images latentes (1996-2006) évoque le retrait, la disparition des images, leur raréfaction.
Cette installation- la dernière partie du projet Wonder Beirut - est constituée de photographies prises mais non développées qui se donnent à lire. Une partie de cette installation sera présentée ici sous forme de planches contacts qui constituent un journal personnel qui relate vie familiale et sentimentale, recherche photographique et Histoire du Liban contemporain. Un livre d’artiste édité par Rosascape autour de ce projet sera également montré pour la première fois dans l’exposition.
Ces images tentent également de problématiser le savoir que nous avons sur certaines représentations comme celles de la ville de Beyrouth évoquée mais jamais montrée dans Barmeh/Rondes (2001) une vidéo avec Rabih Mroué en conducteur inquiétant, fantomatique qui ne quitte pas son véhicule, comme s’il faisait corps avec lui. Il commente le paysage que nous ne voyons jamais et hante les rues de Beyrouth alors que se developpe le projet moderniste de la reconstruction.
Faces (2009) est une série de photographies d’affiches d’hommes morts tragiquement victimes d’attentats ou tombés au combat ou lors d’opérations suicides et qui, au Liban, sont nommés “martyrs”. Ils sont de différentes religions et de différents partis politiques. Nous vivons entourés de ces images qui recouvrent les murs. Nous avons photographié certaines de ces affiches qui, placées en hauteur, ont été altérées par le temps et les intempéries. Elles disparaissent dans la blancheur, s’effacent progressivement. Il ne reste plus grand chose des traits ou des noms de ceux qu’elles représentent. L’image ne semble pas à la hauteur de la promesse. Ces affiches sont photographiées puis retravaillées avec un graphiste et des dessinateurs pour essayer de ramener par le dessin l’image, la trace, de la matière, une rémanence. Mais les images peuvent-elles revenir ?
Dans quel sens faut-il les lire ?
Enfin, Two suns in a sunset (2010) travaillent le décalage temporel et aussi plus concrètement celui du geste photographique. Postés à un emplacement privilégié, dans un lieu qui domine la ville de Beyrouth, nous photographions de façon compulsive. Chacune des quatre images montrées dans l’exposition est composée de dizaines de photographies prises à des moments différents. Elles sont traversées d’incohérences spatiales et surtout temporelles. Plusieurs instants sont mêlées ainsi créant proprement des images impossibles, impropables qui génèrent d’étonnantes apparitions.
Les films et les installations photographiques, montrés dans cette exposition, semblent tous frappés par de singuliers phénomènes. Ces images apparaissent, disparaissent, mutent en des formes nouvelles, en d’inattendues correspondances...
Serait-ce pour des raisons d’optique, de politique, de métaphysique ou peut-être sont-elles mues par des manifestations fantastiques... Ou est-ce une chose diffuse et souterraine, que nous enregistrons, captons mais qui, d’une certaine façon, ne cesse de se transformer, de mettre en danger le regard, de le déplacer...
La lecture-performance Aida Sauve-moi (2009), dont nous présentons ici une captation filmique, mesure justement le mystère de certaines images et fait echo aux enjeux et aux interrogations déployés dans cette exposition. A travers une extraordinaire histoire “invraisemblable mais vrai” qui nous est arrivée lors de l’avant-première de notre second long métrage, A perfect day, au Liban, elle questionne pratiquement toutes les oeuvres qui sont montrées dans l’exposition et au-delà, le principe de reconnaissance, cette action par laquelle on retrouve dans sa mémoire une image, une chose ou une personne quand nous sommes amenés à la revoir.
Toutes ces oeuvres sont montrées «pour la première fois». Pour reprendre le geste de Pierre Ménard, ce personnage que nous empruntons souvent à Jorge Luis Borges et qui dans « Fictions » écrivait le Don Quichotte de Cervantès à l’identique des siècles plus tard, pour la première fois.
 

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