Delphine Reist
16 Oct 2013 - 12 Jan 2014
DELPHINE REIST
La Chute
cycle Des histoires sans fin, séquence automne-hiver 2013-2014
du 16 octobre 2013 au 12 janvier 2014
Parkings, latrines, chantiers, sous-sols, bâtiments administratifs : l’œuvre de Delphine Reist se déploie généralement dans ces lieux ingrats, sans qualités ni réelle situation et qui échappent de fait à la visibilité convenue de l’art. Là, ses interventions consistent en une mise en mouvement d’objets communs : un baril qui n’en finit pas de rouler, des caddies qui dansent, des voitures qui démarrent toutes seules, des drapeaux qui s’agitent sporadiquement... Un petit théâtre déshumanisé où l’esprit du lieu s’incarne dans une révolte des marchandises standardisées.
Présentée au Mamco, La Chute procède de cette même animation du commun. En pénétrant dans le Loft Don Judd, le spectateur éprouvera sans doute la frustration d’être arrivé en retard, après la bataille, et de ne contempler que les restes, les débris d’une performance spectaculaire et violente. Au sol, un imposant fragment du plafond fraichement décroché laisse découvrir sa structure métallique. Le naïf y verra médusé les signes préoccupants d’une vétusté du lieu. Un œil plus averti identifiera peut-être un sabotage mené par l’artiste contre l’autorité du musée, rejouant en cela la radicalité de toute une génération d’artistes désireux d’en découdre avec l’institution : Michael Asher, Hans Haacke, ou, plus près de nous, Hans Schabus. Pourtant la référence s’arrête là : la dislocation du plafond ne révèle pas quelques coulisses malfaisantes, ni percée spectaculaire de lumière. Non, derrière le plafond, un autre plafond. Ce qui gît par terre, c’est le décrochement d’une doublure, d’un décor. La situation renvoie autant à un état du lieu préalable — l’édifice qui abrite le Mamco est un bâtiment industriel désaffecté — qu’à la vision crépusculaire et romantique de son devenir ruine. La chute s’envisage alors comme expression allégorique d’une « constance des lois du monde ». Une figure entrevue dans Averse (2007), une vidéo de D. Reist dans laquelle les néons suspendus au plafond d’une salle polyvalente (bureau ? salle de cours ?) se décrochent un à un pour venir se fracasser sur le sol. Mais encore, cette chute pointe un rapport de proximité entre l’espace de l’exposition et l’espace du travail. Le faux plafond appartient au vocabulaire architectural du bureau, rarement à celui du musée. Une dimension accentuée par la présence sur l’un des murs d’une rangée de patères aux formes dictées par les lois combinées de la rationalisation et de la sécurité. Un mobilier de vestiaire, sur lequel sont disposés quelques sacs vibrionnant. Leur ondulation rejoue les effleurements de corps dont ils sont d’ordinaire témoins dans ces espaces de promiscuité.
Un peu plus loin, une autre force destructrice, un autre effet des lois de la pesanteur se manifeste dans une grosse tache de vin sur le mur accompagnée de bris de bouteille, conséquence et cause d’un mouvement qui hésite entre la bagarre d’ivrognes et le rituel policé d’un baptême. On décèle là encore un clin d’œil à certains gestes célèbres d’avant garde — au premier rang desquels Asphalt Rundown (1969) de Robert Smithson. Mais en donnant à cette intervention l’échelle d’un accident domestique, D. Reist fait de nouveau subtilement allusion à la vie du musée. La forme proposée évoque autant le vernissage que le nettoyage des salles. La chute que propose D. Reist traverse cette panoplie de gestes, objets, situations, mobiliers que nous partageons. Un dévalement salutaire pour atteindre une « réalité en deçà de notre seuil de conscience ».
Delphine Reist est née en 1970 ; elle vit à Genève.
* Une traduction en anglais a été réalisée grâce au soutien de J.P. Morgan Private Bank.
La Chute
cycle Des histoires sans fin, séquence automne-hiver 2013-2014
du 16 octobre 2013 au 12 janvier 2014
Parkings, latrines, chantiers, sous-sols, bâtiments administratifs : l’œuvre de Delphine Reist se déploie généralement dans ces lieux ingrats, sans qualités ni réelle situation et qui échappent de fait à la visibilité convenue de l’art. Là, ses interventions consistent en une mise en mouvement d’objets communs : un baril qui n’en finit pas de rouler, des caddies qui dansent, des voitures qui démarrent toutes seules, des drapeaux qui s’agitent sporadiquement... Un petit théâtre déshumanisé où l’esprit du lieu s’incarne dans une révolte des marchandises standardisées.
Présentée au Mamco, La Chute procède de cette même animation du commun. En pénétrant dans le Loft Don Judd, le spectateur éprouvera sans doute la frustration d’être arrivé en retard, après la bataille, et de ne contempler que les restes, les débris d’une performance spectaculaire et violente. Au sol, un imposant fragment du plafond fraichement décroché laisse découvrir sa structure métallique. Le naïf y verra médusé les signes préoccupants d’une vétusté du lieu. Un œil plus averti identifiera peut-être un sabotage mené par l’artiste contre l’autorité du musée, rejouant en cela la radicalité de toute une génération d’artistes désireux d’en découdre avec l’institution : Michael Asher, Hans Haacke, ou, plus près de nous, Hans Schabus. Pourtant la référence s’arrête là : la dislocation du plafond ne révèle pas quelques coulisses malfaisantes, ni percée spectaculaire de lumière. Non, derrière le plafond, un autre plafond. Ce qui gît par terre, c’est le décrochement d’une doublure, d’un décor. La situation renvoie autant à un état du lieu préalable — l’édifice qui abrite le Mamco est un bâtiment industriel désaffecté — qu’à la vision crépusculaire et romantique de son devenir ruine. La chute s’envisage alors comme expression allégorique d’une « constance des lois du monde ». Une figure entrevue dans Averse (2007), une vidéo de D. Reist dans laquelle les néons suspendus au plafond d’une salle polyvalente (bureau ? salle de cours ?) se décrochent un à un pour venir se fracasser sur le sol. Mais encore, cette chute pointe un rapport de proximité entre l’espace de l’exposition et l’espace du travail. Le faux plafond appartient au vocabulaire architectural du bureau, rarement à celui du musée. Une dimension accentuée par la présence sur l’un des murs d’une rangée de patères aux formes dictées par les lois combinées de la rationalisation et de la sécurité. Un mobilier de vestiaire, sur lequel sont disposés quelques sacs vibrionnant. Leur ondulation rejoue les effleurements de corps dont ils sont d’ordinaire témoins dans ces espaces de promiscuité.
Un peu plus loin, une autre force destructrice, un autre effet des lois de la pesanteur se manifeste dans une grosse tache de vin sur le mur accompagnée de bris de bouteille, conséquence et cause d’un mouvement qui hésite entre la bagarre d’ivrognes et le rituel policé d’un baptême. On décèle là encore un clin d’œil à certains gestes célèbres d’avant garde — au premier rang desquels Asphalt Rundown (1969) de Robert Smithson. Mais en donnant à cette intervention l’échelle d’un accident domestique, D. Reist fait de nouveau subtilement allusion à la vie du musée. La forme proposée évoque autant le vernissage que le nettoyage des salles. La chute que propose D. Reist traverse cette panoplie de gestes, objets, situations, mobiliers que nous partageons. Un dévalement salutaire pour atteindre une « réalité en deçà de notre seuil de conscience ».
Delphine Reist est née en 1970 ; elle vit à Genève.
* Une traduction en anglais a été réalisée grâce au soutien de J.P. Morgan Private Bank.