Perrotin

Keegan McHargue

21 Jun - 26 Jul 2008

© KEEGAN MCHARGUE
KEEGAN MCHARGUE
"Well Charged"

A l'horizon apparaissaient des terres inconnues. L'énorme gant couleur de zinc, aux ongles dorés et terribles, qui se balançait dans le vent triste soufflant sur la ville après midi, me révélait, pointant du doigt les dalles du trottoir, les signes occultes d'une mélancolie nouvelle.
Chez Keegan McHargue, le tableau est tout à la fois scène et arrière-plan, chaque oeuvre composant le décor fantastique d'un monde, pas si différent du nôtre, où des personnages grotesques sont pris dans les rets de la logique perverse et capricieuse qui leur a donné naissance.
Des silhouettes flottent au-dessus de damiers sans profondeur, tandis que les arches et allées qui les entourent finissent en impasse dans l'aplat brusque et neutre de la toile. Des créatures monstrueuses prouvent par l'exemple que chaque élément de la scène peut varier, bourgeonner, bifurquer, devenir translucide ou prismatique, au gré des structures de telle ou telle allégorie se déployant. Des fragments d'usines dépourvues de toute vocation claire, dont la tuyauterie labyrinthique distille des larmes plates, composent des systèmes mélancoliques dont les fonctions, que l'on imagine, correspondent aussi bien aux circuits psychologiques qu'elles évoquent les infrastructures arbitraires et coercitives de l'économie politique contemporaine. Les faces qui émergent de cette surface animiste et brisée couvrent un large spectre, marionnettes conscientes juste assez libres pour lancer aux spectateurs un regard vaincu, hébété, tandis que le paysage se défait autour d'elles, masques de carnaval prenant part à des rituels aussi obscurs que déliquescents.
Les dernières oeuvres de McHargue ressemblent à des gros plans extraits des précédentes, et sous l'effet du zoom les fonds révèlent des motifs irréguliers, instables ou des plans de couleur égale, parmi lesquels les figures sont saisies comme pour des portraits involontaires.
Une opulence décadente, l'éclat d'un luxe préfabriqué, le lustre d'une complaisance insouciante, remplacent l'implacable architecture onirique et les structures de contrainte qui dominaient les décors antérieurs. Mais le paysage sous-jacent, celui d'une subjectivité fragmentaire, susceptible de violence arbitraire, demeure. Les lois ordinaires sont supplantées par le libre jeu des surfaces, superposées, mouvantes, gagnant en volume ou se fissurant pour révéler l'illusion qui forme leur substance.
Toute l'oeuvre le suggère : la question n'est pas de savoir comment la peinture représente le monde, mais comment le monde envahit, informe et modèle l'espace infiniment mutant de la peinture. Et l'ordre abstrait demeure une virtualité, continûment miné qu'il est par une irrépressible tendance à représenter. Les oeuvres sont le champ d'une bataille étrangement morale, opposant les pouvoirs séducteurs de la surface peinte et la responsabilité envers quelque réel rémanent, conflit qui, débordant les limites de l'allégorique, avale non seulement les figures symboliques mais l'espace visuel tout entier.

A l'horizon apparaissaient des terres inconnues. L'énorme gant couleur de zinc, aux ongles dorés et terribles, qui se balançait dans le vent triste soufflant sur la ville après midi, me révélait, pointant du doigt les dalles du trottoir, les signes occultes d'une mélancolie nouvelle.
Chez Keegan McHargue, le tableau est tout à la fois scène et arrière-plan, chaque oeuvre composant le décor fantastique d'un monde, pas si différent du nôtre, où des personnages grotesques sont pris dans les rets de la logique perverse et capricieuse qui leur a donné naissance.
Des silhouettes flottent au-dessus de damiers sans profondeur, tandis que les arches et allées qui les entourent finissent en impasse dans l'aplat brusque et neutre de la toile. Des créatures monstrueuses prouvent par l'exemple que chaque élément de la scène peut varier, bourgeonner, bifurquer, devenir translucide ou prismatique, au gré des structures de telle ou telle allégorie se déployant. Des fragments d'usines dépourvues de toute vocation claire, dont la tuyauterie labyrinthique distille des larmes plates, composent des systèmes mélancoliques dont les fonctions, que l'on imagine, correspondent aussi bien aux circuits psychologiques qu'elles évoquent les infrastructures arbitraires et coercitives de l'économie politique contemporaine. Les faces qui émergent de cette surface animiste et brisée couvrent un large spectre, marionnettes conscientes juste assez libres pour lancer aux spectateurs un regard vaincu, hébété, tandis que le paysage se défait autour d'elles, masques de carnaval prenant part à des rituels aussi obscurs que déliquescents.
Les dernières oeuvres de McHargue ressemblent à des gros plans extraits des précédentes, et sous l'effet du zoom les fonds révèlent des motifs irréguliers, instables ou des plans de couleur égale, parmi lesquels les figures sont saisies comme pour des portraits involontaires.
Une opulence décadente, l'éclat d'un luxe préfabriqué, le lustre d'une complaisance insouciante, remplacent l'implacable architecture onirique et les structures de contrainte qui dominaient les décors antérieurs. Mais le paysage sous-jacent, celui d'une subjectivité fragmentaire, susceptible de violence arbitraire, demeure. Les lois ordinaires sont supplantées par le libre jeu des surfaces, superposées, mouvantes, gagnant en volume ou se fissurant pour révéler l'illusion qui forme leur substance.
Toute l'oeuvre le suggère : la question n'est pas de savoir comment la peinture représente le monde, mais comment le monde envahit, informe et modèle l'espace infiniment mutant de la peinture. Et l'ordre abstrait demeure une virtualité, continûment miné qu'il est par une irrépressible tendance à représenter. Les oeuvres sont le champ d'une bataille étrangement morale, opposant les pouvoirs séducteurs de la
surface peinte et la responsabilité envers quelque réel rémanent, conflit qui, débordant les limites de l'allégorique, avale non seulement les figures symboliques mais l'espace visuel tout entier.
 

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