Valentin

David Renggli

10 Mar - 21 Apr 2012

© David Renggli
Twisted Stripclub gives Shelter from Rain, 2011
steel, paint
297 x 370 x 270 cm
DAVID RENGGLI
Point of you
10 March - 21 April, 2012

"La fonction du mythe, c'est d'évacuer le réel : il est, à la lettre, un écoulement incessant, une hémorragie, ou si l'on préfère, une évaporation, bref une absence sensible."
Roland Barthes, Mythologies, 1972
La pratique de David Renggli insinue le déséquilibre et distille le doute dans la permanence des catégories et des styles qui garantissent habituellement la validité de nos schémas perceptifs. Façonnant au fil des années un univers peuplé de simulacres, de reflets, de doubles dédoublés, de formes illusoirement chancelantes, de souvenirs truqués, de trompes l'oeil qui ne trompent personne, d'hommages rendus puis aussitôt repris à l'histoire des formes et des idées, cet art accapare la réalité à travers sa doublure et poétise le « faux ». Fausses peintures, fausses sculptures, fausses photographies, faux objets, fausses équations, et pourtant, le factice atteint une forme de vérité autonome, pourrait-on dire d'authenticité. Les images qu'il égraine avec une apparente désinvolture ne semblent avoir d'autre dessein que de se contredire elles-mêmes. Derrière les allures parfois accidentelles, inachevées ou profondément absurdes de ces assemblages, la question du calcul, de la mesure, ou de la logique est au cœur de cette œuvre : par quel principe une œuvre tient-elle debout, quelle est la règle qui légitime sa présence sur la scène d'exposition? Ces assemblages à la fois plausibles et irréels à l'intérieur desquels prolifèrent les objets, les références et les citations, déconcertent bien souvent le regard, tautologisent le doute, redoublent les mystifications quotidiennes. Ainsi, les oeuvres de David Renggli possèdent une forme de fragilité intrinsèque, elles ne cachent pas leurs propres limites, exhibent leur défauts et leurs incohérences. Cette aporie du sens, bien souvent libère une charge onirique et mélancolique.
Témoins d'une réalité qui nous serait devenue étrangère, l'oeuvre joue la comédie, feint la naïveté, pour mieux inquiéter le regard livré au libre jeu du signifiant. Le geste, iconoclaste et provocateur puise dans l'imagerie populaire aussi facilement que dans l'iconographie classique de l'histoire de l'art, opérant par collages au sein desquels s'enracinent de nouveaux espaces d'association. C'est que l'art de David Renggli joue sur la perméabilité et la volatilité des symboles et des matériaux qu'il dissémine au hasard de l'intuition comme des bribes de souvenirs qui se superposent pour finalement s'annuler aussitôt approchés pas le regard. Parfois les formes sont trop évidentes pour qu'on ne puisse pas les soupçonner de renfermer un sens caché, mais le regard à beau tordre l'image, la disséquer, tourner autour à la recherche d'hypothétiques clés d'interprétation, l'oeuvre, bien souvent, ne donne rien d'autre à voir que ce qu'elle montre.
En digne héritier de la pensée postmoderniste, David Renggli joue avec les propres contradictions de représentations de son temps, érigeant l'absurde et l'arbitraire comme principe homogénéisant. En 2004, il réalise une sculpture : une main sortant un lapin d'un chapeau, voilà peut-être une formule lapidaire pour résumer l'acte de la création ; rétablir l'arbitraire et l'absurde comme origine du geste. A la question : Pourquoi le lapin?, le « pourquoi pas » remplace le « parce que ». A cet endroit demeure la véritable force du geste, son aspect subversif : il reste, indéfectiblement, réfractaire aux lois de la logiques naturelle et du bon sens.
Mais l'art de David Renggli semble au fil du temps avoir pris ses distances avec le réel et tendrait à atteindre une forme d'essence du signe, les formes se simplifiant au fil des installations. De ses premiers travaux photographiques qui prenaient à partie la dimension proprement mimétique du médium à ses collages volumétriques monumentaux jusqu'à ses étranges sculptures métalliques laquées, l'oeuvre tend vers une approche plus formaliste, davantage maîtrisée, sophistiquée. Elle n'en est pas plus assagie, le sérieux n'est encore une fois qu'apparence : pour réaliser cette série de « sculptures », l'artiste à prélevé dans l'imagerie des magazines de mode tout un répertoire d'attitude stéréotypés de femmes assistant à des défilés. Ces représentations actuelles entrent alors en résonance avec l'iconographie de l'histoire de la sculpture classique, lui aussi pris comme répertoire d'attitudes « types ». De ce jeu d'association formelle résultent ces formes abstraites enchevêtrées, elles-mêmes contorsionnées par l'imaginaire. L'oeuvre ici n'entretient pas de ressemblance directe avec ce qui serait son modèle, le rapport n'est pas même symbolique, contrairement à la série des Glass-Painting à la surface desquelles vient se réfléchir le mythe du modernisme de manière explicite : quand l'artiste réalise des peintures abstraites faussement « modernes », il nous renvoie à la fois à une histoire de l'art, à l'abstraction lyrique de Hans Hartung ou de Gerard Schneider, mais aussi pourquoi pas aux planches de test inventées par le psychiatre suisse Hermann Rorchach. Si ces peintures gestuelles à dimension humaine miment la spontanéité, joyeuse et expressive, elles demeurent pourtant des peintures sans sujet, sans contenu, sans âme. Trompe l'oeil, jeu de transparence, le tableau tape à l'oeil, il est une interface du désir qui ne porte plus la trace du corps que de façon caricaturale : l'artiste est absent à son œuvre et l'oeuvre absente à elle-même, mais encore faut-il pour le spectateur passer par une confrontation physique pour expérimenter les propres limites de l'oeuvre. Et une fois cette prise de conscience assumée, l'oeuvre peut-elle, enfin, commencer à exister.

Clara Guislain
 

Tags: Hans Hartung, David Renggli