Zoo Galerie

Nicolas Momein

28 Feb - 29 Mar 2014

© Nicolas Momein
Ensemble, 14 sculptures par exemple, un peu plus près des étoiles et bulgomme, 2014
courtesy Galerie White Project, Paris. Photo : Stéphane Bellanger.
NICOLAS MOMEIN
Débords
29 février - 29 mars 2014

Nicolas Momein est-il un sculpteur classique ? La contemplation d’incomplete close cube, œuvre composée de neuf blocs de sel sculptés selon un protocole qui associe contrainte et systématicité, pourrait parfaitement valider cette hypothèse. Hormis le matériau pour le moins inhabituel, le procédé correspond assez bien à celui d’une démarche classique qui consiste en l’acte répétitif de soustraire de la matière (bois, marbre, pierre) jusqu’à l’obtention de la forme souhaitée. Bien sûr, cette tentative de classification attire la critique. La sculpture, si elle s’est vue radicalement poussée dans ses retranchements ontologiques depuis le début du xxe siècle et l’irruption de la révolution duchampienne, conserve cependant certains critères a minima qui font qu’une œuvre appartient ou non à son champ : parmi ceux-ci, la nécessité de l’action de la main (outillée ou pas) sur une masse plus ou moins informe, ou encore l’assemblage de matériaux divers. Ici, on se trouve devant une situation radicalement autre : aucune intervention de la main de l’artiste n’est requise dans l’exécution de ces œuvres, toutes réalisées via le « léchage » appliqué des blocs de sel par des animaux, des vaches en l’occurrence. Certes, on pourra toujours rétorquer qu’il s’agit d’un détournement parmi d’autres d’une action réflexe et nourricière à des fins artistiques à l’heure où se multiplient les substitutions des gestes des artistes sur la matière, mais cela ne suffira pas à qualifier Nicolas Momein de sculpteur authentique. Pour autant, la présence des bovins n’est pas anodine dans l’œuvre de ce dernier, elle correspond à une véritable attirance pour le monde animal, du moins sa frange domestiquée, celle avec laquelle nous, humains, entretenons les rapports les plus ambigus.

La série de sculptures présentée à Zoo galerie fait cependant référence au monde animal en tant qu’il renvoie à un milieu mal connu, le monde rural, que l’artiste a côtoyé enfant. Au souvenir ludique de la fréquentation de ces bizarres engins agricoles a succédé un intérêt purement plastique pour des formes non immédiatement identifiables : ces travails à ferrer, ces vêleuses, sont composés d’étranges armatures en métal dont la suppression des liens souples rend le fonctionnement encore plus abstrait. L’on pourrait supposer ces machines destinées à torturer les bestiaux jusqu’au moment où ces attelages improbables se révèlent être conçus pour aider les vaches à donner naissance à leur progéniture, les bœufs à se faire mettre des fers aux sabots, au final, pour leur rendre la vie plus douce, révélant l’ambiguïté fondamentale de nos rapports à l’animal, entre empathie et tropisme carnivore. Nicolas Momein a retrouvé ces objets auprès de paysans du Puy-de-Dôme, son territoire de prédilection, avant de les photographier et de chercher à les reproduire à l’identique, de manière purement empirique. Il s’ensuit des formes inédites dont l’étrangeté provient de la difficulté à leur assigner un quelconque usage dans le réel. Ce faisant, l’artiste tente de redessiner un paysage familier dont le souvenir se heurte aux imperfections de la mémoire. Il témoigne de la réalité d’un monde en pleine mutation dont les frontières s’estompent de plus en plus pour laisser place à une nouvelle identité post rurale, se réappropriant les gestes de l’artisan dont il copie la précision et l’intensité mais en en détournant la finalité pour introduire les objets ainsi créés dans le monde de l’art. Les bovistop sont des obstacles posés à même le sol qui empêchent les bovins de s’échapper ; ces barrières « invisibles » à l’apparence de readymades qu’il ne sont pas — l’artiste les ayant refabriqués — complètent le tableau d’une pratique n’hésitant pas à investir des territoires « marginaux » afin de servir des desseins artistiques. La symbolique de ces œuvres est d’autant plus forte qu’elle est complexe, ouvrant le paysage à l’infini sur un monde mutant où des campagnes industrialisées jouxtent des cités végétalisées...