Wrapped/Unwrapped
01 Apr - 06 May 2017
WRAPPED/UNWRAPPED
1 Avril - 6 Mai 2017
Commissariat : Patrice Joly
Qu’est-ce qui fait réellement œuvre, à quel moment apparaît-elle, qu’est-ce qui décide de sa forme finale ? Les préoccupations qui animèrent les promoteurs de la sculpture moderne lorsqu’il cherchèrent à définir une œuvre, à appréhender sa réalité intrinsèque, ses déterminations internes, les intentions de l’auteur qui transparaissent plus ou moins dans ce qui est donné à voir au final, ressurgissent un siècle plus tard à travers l’emprise de l’autour des œuvres. Non pas le discours qui les entoure, les légitime et les installe dans leur statut d’œuvre mais, plus prosaïquement, toute l’enveloppe protectrice qui correspond à une augmentation exponentielle de leur propension à circuler et à stagner. Les emballages des œuvres ne sont pas juste de vulgaires bouts de cartons ou de polystyrène protecteur qui maintiennent l’œuvre en état, la préservent des chocs extérieurs dans ses nombreux voyages ou la conservent dans ses longues phases de stockage : bien plus qu’une simple enveloppe matérielle, ils sont devenu au fil du temps et des modifications du mode majeur « d’être au monde » de l’œuvre, sa condition principale d’apparition, puisque, hormis les rares moments ou l’œuvre est exposée nue, elle est la plupart du temps enfermée dans son écrin protecteur en bois, bullpack ou autre carton, y compris lorsqu’elle fait l’objet d’un achat par un collectionneur : elle rentre ainsi, extérieurement, dans une espèce de communauté formelle qui la ramène au rang de matériau grand public, banale fourniture de chez Leroy Merlin ou Home Depot...
À tel point que cet emballage qui la contamine et la colonise de plus en plus — à l’instar du discours critique et communicationnel — fait de plus en plus œuvre. Car l’emballage des œuvres — celui qui consiste la plupart du temps en un provisoire qui s’éternise — et sa diversité de matières flashy, translucides tels les bullpack légers, les 50 nuances de gris des cartons recyclés ayant servi à d’autres usages, les scotchs de toutes les largeurs et de toutes les couleurs, forme pareillement un discours qui en dit presqu’autant qu’un communiqué de presse. Les œuvres sont parées comme des individus et, de plus en plus, la distance entre le contenu et le contenant peut se révéler excessivement élevée ; des matériaux sans qualités peuvent être conservés dans des caisses luxueuses, accentuant le décalage entre des matières brutes et la valeur marchande de l’œuvre : de fait, c’est bien souvent la qualité du paquetage qui donne le plus sérieux indice de cette valeur. De nombreux artistes dans l’histoire de l’art se sont intéressés à ces « excroissances » qui appartiennent sans appartenir à l’œuvre, qui l’expriment sans user de mots et qui la révèlent par défaut, à l’instar du paratexte des écrits littéraires. De grands précurseurs ont ouvert la voie : le plus fameux d’entre eux est certainement Christo qui, en emballant à tout va bidons, fauteuils, monuments, ponts, montagnes, jusqu’à des îles !, a pointé la formidable puissance de l’emballage et de ce qu’il révèle : en masquant ces objets de plus en plus grands, de plus en plus improbables, Christo a montré bien plus que ce qui était découvert jusqu’alors : le Pont-Neuf est devenu soudainement beaucoup plus élégant et gracieux, il s’est arrondi et a révélé aux parisiens ses formes épanouies : bien sûr l’emballage est une métaphore de l’habillement et la dialectique de découvrement/recouvrement qu’elle induit n’est pas sans convoquer le langage du désir, ce que Christo a parfaitement compris.
Aujourd’hui, de nombreux artistes s’intéressent à ces contre formes, à tout l’attirail de l’emballage, parce que pareillement à l’œuvre qu’ils renferment et protègent, ces matériaux sont séducteurs : ils appartiennent au même continuum matériel et, outre la connotation érotique que recèle l’emballage et le déballage (l’autre nom de l’effeuillage ?) qui participent grandement de cette fétichisation, ils témoignent de l’appartenance des œuvres au grand marché de l’art mondialisé et à l’accélération inouïe de la circulation des œuvres : les Fedex boxes de Walead Beshty ne renvoient plus au travail de l’ouvrier, comme une sorte de sublimation de l’esthétique industrielle, elles témoignent de la désintégration d’un monde, celui de l’industrie au cœur des villes occidentales, de sa délocalisation à l’autre bout de la planète et donc du statut éminemment nomade de la marchandise; par ailleurs les écorchures et les brisures que subit le colis au cours de ce voyage invisible ne manquent d’évoquer les blessures et les traumatismes bien réels que subissent les voyageurs malmenés que sont le migrants.
Le travail de Béatrice Balcou porte majoritairement sur une recherche de la définition de l’objet, sur la différence entre contenant et contenu. Ses performances montrent l’importance qu’ont pris les objets de haute technologie dans notre quotidien en surjouant notre rapport à ces derniers : dans Computer performance (2010), c’est le déballage d’un ordinateur hors de sa pochette protectrice, ainsi que l’ouverture et la mise en place sur le bureau de ce dernier avec des gestes soulignés, prononcés, qui composent le cœur de la performance, le fétichisme de cette nouvelle marchandise technologique est alors porté à son comble. Béatrice Balcou présentera également un ensemble d’Impression Placebo réalisées d’après ses Sculpture Placebo qui sont elles-mêmes réalisées d’après les œuvres d’autres artistes. La très haute définition de l’impression produit un effet de réel saisissant, comme s’il ne s’agissait pas de reproductions mais bien d’extraits véritables des pièces en question, comme si l’artiste avait retiré la peau ou l’enveloppe de ces dernières...
Les pièces de la série des Mis ensemble de Victoire Barbot n’apparaissent jamais intégralement, ou plutôt ce sont toujours des étapes de leur développement qui sont présentées, que ce soit la phase du dessin préfiguratif, de l’emballage en carton, de la boîte en plexiglas ou de la pièce proprement dite, composée elle-même d’éléments appartenant au monde des accessoires ou des matières d’emballage, de sorte que leur appréhension simultanée relève de l’impossible. Le travail de la jeune artiste parisienne pose ou repose la question de l’achèvement d’une pièce, il met aussi en crise la définition de la sculpture puisqu’il apparaît assez délicat de faire le tour d’une œuvre dont on n’entrevoit qu’un des multiples aspects... Victoire Barbot présentera également Grey Paintings formé d’un ensemble de trois lais de velours dont les gestes de l’installation ont été enregistrés par le tissu et en forment le motif ; cette pièce réactive l’œuvre de Robert Rauschenberg, White Paintings (1951).
Dans un autre registre, les performances de Carole Douillard mettent en scène des acteurs et des figurants dans des attitudes dérangeantes, anachroniques, à l’instar de The Viewers présentée au Palais de Tokyo, pour laquelle les acteurs se « contentaient » de fixer les visiteurs de l’exposition, provoquant au sein de ces derniers une espèce de malaise dû au renversement des postures habituelles du regardeur et de l’observé. Pour wrapped/unwrapped, Sleeper, précédemment présentée au Frac Franche-Comté, verra des acteurs, emmaillotés dans des couvertures d’emballage, s’endormir en plein milieu du vernissage : l’artiste cherchant à nouveau dans cette performance à questionner le regard des spectateurs. Cette performance renvoie à des situations de plus en plus courantes de notre quotidien : celles de tous les laissés pour compte de la société pour qui l’accès à la marchandise précieuse qu’est l’œuvre d’art demeure un horizon lointain.
Marcelline Delbecq entretient un rapport complexe avec la nécessité d’exposer, elle a produit une photographie très intéressante de ce point de vue : avec Wonder, nous sommes face à des cartons empilés et posés contre un mur et nous ne savons pas si leurs contenus sont en voie d’être déballés avant d’être exposés ou s’ils sont en attente de leur départ vers une autre destination. La photographie qui les saisit dans ce moment d’indécision redouble l’incertitude sur ce qui fait œuvre mais aussi sur ce qui fait exposition.
G. Küng pousse encore plus loin ce regard sur une marchandise réduite à ses attributs extérieurs et à la pure séduction qu’elle exerce sur sa cible : le spectaculaire de ses sacs géants (Shopping bags) les rend impropre à une quelconque fonction utilitaire, renforçant leur caractère d’intouchabilité. Face à ces totems de l’insignifiance, c’est l’ensemble du clan des consommateurs qui est convoqué, pour qui le luxe fait office de boussole : un signe de ralliement qui agit dans le désert de la fraternité perdue et désigne la vacuité fondamentale du shopping, une aliénation largement partagée dont participe grandement l’œuvre d’art complice. Outre les Shopping bags, l’artiste montrera également un ensemble de tiroirs, les Drawers, dont les dimensions hors-normes participent pleinement de la réflexion sur la frontière entre contenant et contenu mais aussi de l’inflation du désir consumériste que cette œuvre illustre parfaitement.
Les pièces de Maïlys Lamotte-Paulet sont chargées d’une poésie pour le moins inattendue à l’endroit de sacs plastiques, comme si ces derniers étaient capables d’engendrer un quelconque lyrisme : l’artiste a imaginé lester l’ombre de vulgaires sacs plastiques d’une résine translucide et ainsi de donner corps à une quasi immatérialité (Ombres). Ces poids plumes promis à une disparition rapide acquièrent de ce fait un caractère impérissable ainsi qu’une préciosité paradoxale. L’artiste présentera également une série de moquettes utilisées par les travailleurs d’origine africaine de la ville de Paris pour orienter le flot de l’eau des caniveaux : replacés sur des cimaises, ces rouleaux nonchalamment assemblés passent de la condition de banal morceau de revêtement à celui d’astucieux objet de gestion de l’eau, pour finir comme objet d’art, non sans faire allusion au passage à la statuaire africaine (Sans titre).
Erwan Mahéo réside depuis une quinzaine d’années dans la capitale belge où il vient de réaliser une exposition remarquée à la Verrière Hermès avec Douglas Eyton (Novelty ltd). Mahéo, comme le décrit Guillaume Désanges, « développe une œuvre à la fois formelle et très érudite, informée par une histoire des formes et faisant volontiers référence à des champs connexes à l’art comme l’architecture, le graphisme et le design. Elle s’actualise en sculptures, photographies, vidéos, mais aussi en larges travaux de couture sur tissus. » Pour wrapped/unwrapped, il sera justement question d’emprunter un « escalier » produit pour l’occasion et qui résonne avec les questionnements posés par l’exposition. Cet escalier empaqueté que n’aurait pas renié un Christo à ses débuts fait figure de monument dérisoire, pyramide inca tronquée ne menant nulle part, ne desservant nul autel sacrificatoire mais venant déjouer, de par cet emballage incongru en tissu, une fonction utilitaire pour le coup inopérante.
Le japonais Yuki Okumura a développé une réflexion sur les univers parallèles à partir de la pièce séminale Canned Universe, qui fut créée dans les années 60 par Genpei Akasegawa. Dans cette dernière, l’artiste avant-gardiste, en retournant l’emballage d’une boîte de conserve et en la rescellant, réemballait l’univers entier. Le philosophe japonais Hitoshi Nagai a considéré que cette proposition aboutissait à une conception pour le moins subjective de l’univers. Partant de cette réflexion, Yuki Okumura a organisé un workshop dans lequel chaque participant pouvait amener sa boîte de conserve préférée et réaliser sa propre version de Canned Universe, leur donnant ainsi la possibilité d’explorer ce que signifiait la possibilité de juxtaposer dans un même espace-temps les boîtes ainsi transformées.
Blaise Parmentier s’intéresse de près à la question de la marchandise et de son devenir déchet : en 2013, invité de Zoo galerie pour une exposition personnelle, il y avait montré Correspondance dans laquelle un échange transatlantique de déchets domestiques était organisé entre lui et son ami Daniel Markus critique d’art à Philadelphie : au-delà de l’absurde d’un tel geste et de son caractère provocateur à l’endroit du politically correct, pointait la réflexion sur l’aspect esthétique de la marchandise en circulation, via ses divers estampillages, rappelant un peu le travail de Walead Beashty. Pour wrapped/unwrapped, le polystyrène, matériau emblématique de la protection et du transport des objets, devient l’élément matriciel d’une production dérivée, où la forme anodine de l’emballage récupère quelque peu de sa noblesse via l’alchimie de sa transformation en aluminium.
La pratique de Julien Quentel s’attache plus au dénuement des objets qu’à leur côté séducteur, l’artiste se préoccupant plus de révéler par de subtils traitements et déplacements, parfois à la limite du visible, leurs qualités intrinsèques, quand il ne se s’avise pas de faire macérer dans la Loire de vrais-faux sacs Hermès : Hermès retrouvé fait autant référence à la mythologie dont on aurait retrouvé le chemin qu’à la marque qui a définitivement pris le pas sur l’épopée. De même, le vermillon de sa shoebox in red vermillon n’apparaît que si on la retourne : à l’instar des célèbres escarpins dont on ne devine la couleur qu’à la faveur d’un pied qui se lève, le rouge reste ici confiné dans un secret que seul le langage trahit. Le vrai luxe c’est de pouvoir s’abriter derrière le verbe. Les pièces de Julien Quentel, comme cette autre boîte fabriquée à la main par l’artiste qui épouse la forme d’une vraie boîte « manufacturée » (shoebox made by hand), empruntent au langage pour subtilement signifier la rouerie de ce dernier et sa non adhérence à la chose : ceci n’est pas une boîte de chaussures.
1 Avril - 6 Mai 2017
Commissariat : Patrice Joly
Qu’est-ce qui fait réellement œuvre, à quel moment apparaît-elle, qu’est-ce qui décide de sa forme finale ? Les préoccupations qui animèrent les promoteurs de la sculpture moderne lorsqu’il cherchèrent à définir une œuvre, à appréhender sa réalité intrinsèque, ses déterminations internes, les intentions de l’auteur qui transparaissent plus ou moins dans ce qui est donné à voir au final, ressurgissent un siècle plus tard à travers l’emprise de l’autour des œuvres. Non pas le discours qui les entoure, les légitime et les installe dans leur statut d’œuvre mais, plus prosaïquement, toute l’enveloppe protectrice qui correspond à une augmentation exponentielle de leur propension à circuler et à stagner. Les emballages des œuvres ne sont pas juste de vulgaires bouts de cartons ou de polystyrène protecteur qui maintiennent l’œuvre en état, la préservent des chocs extérieurs dans ses nombreux voyages ou la conservent dans ses longues phases de stockage : bien plus qu’une simple enveloppe matérielle, ils sont devenu au fil du temps et des modifications du mode majeur « d’être au monde » de l’œuvre, sa condition principale d’apparition, puisque, hormis les rares moments ou l’œuvre est exposée nue, elle est la plupart du temps enfermée dans son écrin protecteur en bois, bullpack ou autre carton, y compris lorsqu’elle fait l’objet d’un achat par un collectionneur : elle rentre ainsi, extérieurement, dans une espèce de communauté formelle qui la ramène au rang de matériau grand public, banale fourniture de chez Leroy Merlin ou Home Depot...
À tel point que cet emballage qui la contamine et la colonise de plus en plus — à l’instar du discours critique et communicationnel — fait de plus en plus œuvre. Car l’emballage des œuvres — celui qui consiste la plupart du temps en un provisoire qui s’éternise — et sa diversité de matières flashy, translucides tels les bullpack légers, les 50 nuances de gris des cartons recyclés ayant servi à d’autres usages, les scotchs de toutes les largeurs et de toutes les couleurs, forme pareillement un discours qui en dit presqu’autant qu’un communiqué de presse. Les œuvres sont parées comme des individus et, de plus en plus, la distance entre le contenu et le contenant peut se révéler excessivement élevée ; des matériaux sans qualités peuvent être conservés dans des caisses luxueuses, accentuant le décalage entre des matières brutes et la valeur marchande de l’œuvre : de fait, c’est bien souvent la qualité du paquetage qui donne le plus sérieux indice de cette valeur. De nombreux artistes dans l’histoire de l’art se sont intéressés à ces « excroissances » qui appartiennent sans appartenir à l’œuvre, qui l’expriment sans user de mots et qui la révèlent par défaut, à l’instar du paratexte des écrits littéraires. De grands précurseurs ont ouvert la voie : le plus fameux d’entre eux est certainement Christo qui, en emballant à tout va bidons, fauteuils, monuments, ponts, montagnes, jusqu’à des îles !, a pointé la formidable puissance de l’emballage et de ce qu’il révèle : en masquant ces objets de plus en plus grands, de plus en plus improbables, Christo a montré bien plus que ce qui était découvert jusqu’alors : le Pont-Neuf est devenu soudainement beaucoup plus élégant et gracieux, il s’est arrondi et a révélé aux parisiens ses formes épanouies : bien sûr l’emballage est une métaphore de l’habillement et la dialectique de découvrement/recouvrement qu’elle induit n’est pas sans convoquer le langage du désir, ce que Christo a parfaitement compris.
Aujourd’hui, de nombreux artistes s’intéressent à ces contre formes, à tout l’attirail de l’emballage, parce que pareillement à l’œuvre qu’ils renferment et protègent, ces matériaux sont séducteurs : ils appartiennent au même continuum matériel et, outre la connotation érotique que recèle l’emballage et le déballage (l’autre nom de l’effeuillage ?) qui participent grandement de cette fétichisation, ils témoignent de l’appartenance des œuvres au grand marché de l’art mondialisé et à l’accélération inouïe de la circulation des œuvres : les Fedex boxes de Walead Beshty ne renvoient plus au travail de l’ouvrier, comme une sorte de sublimation de l’esthétique industrielle, elles témoignent de la désintégration d’un monde, celui de l’industrie au cœur des villes occidentales, de sa délocalisation à l’autre bout de la planète et donc du statut éminemment nomade de la marchandise; par ailleurs les écorchures et les brisures que subit le colis au cours de ce voyage invisible ne manquent d’évoquer les blessures et les traumatismes bien réels que subissent les voyageurs malmenés que sont le migrants.
Le travail de Béatrice Balcou porte majoritairement sur une recherche de la définition de l’objet, sur la différence entre contenant et contenu. Ses performances montrent l’importance qu’ont pris les objets de haute technologie dans notre quotidien en surjouant notre rapport à ces derniers : dans Computer performance (2010), c’est le déballage d’un ordinateur hors de sa pochette protectrice, ainsi que l’ouverture et la mise en place sur le bureau de ce dernier avec des gestes soulignés, prononcés, qui composent le cœur de la performance, le fétichisme de cette nouvelle marchandise technologique est alors porté à son comble. Béatrice Balcou présentera également un ensemble d’Impression Placebo réalisées d’après ses Sculpture Placebo qui sont elles-mêmes réalisées d’après les œuvres d’autres artistes. La très haute définition de l’impression produit un effet de réel saisissant, comme s’il ne s’agissait pas de reproductions mais bien d’extraits véritables des pièces en question, comme si l’artiste avait retiré la peau ou l’enveloppe de ces dernières...
Les pièces de la série des Mis ensemble de Victoire Barbot n’apparaissent jamais intégralement, ou plutôt ce sont toujours des étapes de leur développement qui sont présentées, que ce soit la phase du dessin préfiguratif, de l’emballage en carton, de la boîte en plexiglas ou de la pièce proprement dite, composée elle-même d’éléments appartenant au monde des accessoires ou des matières d’emballage, de sorte que leur appréhension simultanée relève de l’impossible. Le travail de la jeune artiste parisienne pose ou repose la question de l’achèvement d’une pièce, il met aussi en crise la définition de la sculpture puisqu’il apparaît assez délicat de faire le tour d’une œuvre dont on n’entrevoit qu’un des multiples aspects... Victoire Barbot présentera également Grey Paintings formé d’un ensemble de trois lais de velours dont les gestes de l’installation ont été enregistrés par le tissu et en forment le motif ; cette pièce réactive l’œuvre de Robert Rauschenberg, White Paintings (1951).
Dans un autre registre, les performances de Carole Douillard mettent en scène des acteurs et des figurants dans des attitudes dérangeantes, anachroniques, à l’instar de The Viewers présentée au Palais de Tokyo, pour laquelle les acteurs se « contentaient » de fixer les visiteurs de l’exposition, provoquant au sein de ces derniers une espèce de malaise dû au renversement des postures habituelles du regardeur et de l’observé. Pour wrapped/unwrapped, Sleeper, précédemment présentée au Frac Franche-Comté, verra des acteurs, emmaillotés dans des couvertures d’emballage, s’endormir en plein milieu du vernissage : l’artiste cherchant à nouveau dans cette performance à questionner le regard des spectateurs. Cette performance renvoie à des situations de plus en plus courantes de notre quotidien : celles de tous les laissés pour compte de la société pour qui l’accès à la marchandise précieuse qu’est l’œuvre d’art demeure un horizon lointain.
Marcelline Delbecq entretient un rapport complexe avec la nécessité d’exposer, elle a produit une photographie très intéressante de ce point de vue : avec Wonder, nous sommes face à des cartons empilés et posés contre un mur et nous ne savons pas si leurs contenus sont en voie d’être déballés avant d’être exposés ou s’ils sont en attente de leur départ vers une autre destination. La photographie qui les saisit dans ce moment d’indécision redouble l’incertitude sur ce qui fait œuvre mais aussi sur ce qui fait exposition.
G. Küng pousse encore plus loin ce regard sur une marchandise réduite à ses attributs extérieurs et à la pure séduction qu’elle exerce sur sa cible : le spectaculaire de ses sacs géants (Shopping bags) les rend impropre à une quelconque fonction utilitaire, renforçant leur caractère d’intouchabilité. Face à ces totems de l’insignifiance, c’est l’ensemble du clan des consommateurs qui est convoqué, pour qui le luxe fait office de boussole : un signe de ralliement qui agit dans le désert de la fraternité perdue et désigne la vacuité fondamentale du shopping, une aliénation largement partagée dont participe grandement l’œuvre d’art complice. Outre les Shopping bags, l’artiste montrera également un ensemble de tiroirs, les Drawers, dont les dimensions hors-normes participent pleinement de la réflexion sur la frontière entre contenant et contenu mais aussi de l’inflation du désir consumériste que cette œuvre illustre parfaitement.
Les pièces de Maïlys Lamotte-Paulet sont chargées d’une poésie pour le moins inattendue à l’endroit de sacs plastiques, comme si ces derniers étaient capables d’engendrer un quelconque lyrisme : l’artiste a imaginé lester l’ombre de vulgaires sacs plastiques d’une résine translucide et ainsi de donner corps à une quasi immatérialité (Ombres). Ces poids plumes promis à une disparition rapide acquièrent de ce fait un caractère impérissable ainsi qu’une préciosité paradoxale. L’artiste présentera également une série de moquettes utilisées par les travailleurs d’origine africaine de la ville de Paris pour orienter le flot de l’eau des caniveaux : replacés sur des cimaises, ces rouleaux nonchalamment assemblés passent de la condition de banal morceau de revêtement à celui d’astucieux objet de gestion de l’eau, pour finir comme objet d’art, non sans faire allusion au passage à la statuaire africaine (Sans titre).
Erwan Mahéo réside depuis une quinzaine d’années dans la capitale belge où il vient de réaliser une exposition remarquée à la Verrière Hermès avec Douglas Eyton (Novelty ltd). Mahéo, comme le décrit Guillaume Désanges, « développe une œuvre à la fois formelle et très érudite, informée par une histoire des formes et faisant volontiers référence à des champs connexes à l’art comme l’architecture, le graphisme et le design. Elle s’actualise en sculptures, photographies, vidéos, mais aussi en larges travaux de couture sur tissus. » Pour wrapped/unwrapped, il sera justement question d’emprunter un « escalier » produit pour l’occasion et qui résonne avec les questionnements posés par l’exposition. Cet escalier empaqueté que n’aurait pas renié un Christo à ses débuts fait figure de monument dérisoire, pyramide inca tronquée ne menant nulle part, ne desservant nul autel sacrificatoire mais venant déjouer, de par cet emballage incongru en tissu, une fonction utilitaire pour le coup inopérante.
Le japonais Yuki Okumura a développé une réflexion sur les univers parallèles à partir de la pièce séminale Canned Universe, qui fut créée dans les années 60 par Genpei Akasegawa. Dans cette dernière, l’artiste avant-gardiste, en retournant l’emballage d’une boîte de conserve et en la rescellant, réemballait l’univers entier. Le philosophe japonais Hitoshi Nagai a considéré que cette proposition aboutissait à une conception pour le moins subjective de l’univers. Partant de cette réflexion, Yuki Okumura a organisé un workshop dans lequel chaque participant pouvait amener sa boîte de conserve préférée et réaliser sa propre version de Canned Universe, leur donnant ainsi la possibilité d’explorer ce que signifiait la possibilité de juxtaposer dans un même espace-temps les boîtes ainsi transformées.
Blaise Parmentier s’intéresse de près à la question de la marchandise et de son devenir déchet : en 2013, invité de Zoo galerie pour une exposition personnelle, il y avait montré Correspondance dans laquelle un échange transatlantique de déchets domestiques était organisé entre lui et son ami Daniel Markus critique d’art à Philadelphie : au-delà de l’absurde d’un tel geste et de son caractère provocateur à l’endroit du politically correct, pointait la réflexion sur l’aspect esthétique de la marchandise en circulation, via ses divers estampillages, rappelant un peu le travail de Walead Beashty. Pour wrapped/unwrapped, le polystyrène, matériau emblématique de la protection et du transport des objets, devient l’élément matriciel d’une production dérivée, où la forme anodine de l’emballage récupère quelque peu de sa noblesse via l’alchimie de sa transformation en aluminium.
La pratique de Julien Quentel s’attache plus au dénuement des objets qu’à leur côté séducteur, l’artiste se préoccupant plus de révéler par de subtils traitements et déplacements, parfois à la limite du visible, leurs qualités intrinsèques, quand il ne se s’avise pas de faire macérer dans la Loire de vrais-faux sacs Hermès : Hermès retrouvé fait autant référence à la mythologie dont on aurait retrouvé le chemin qu’à la marque qui a définitivement pris le pas sur l’épopée. De même, le vermillon de sa shoebox in red vermillon n’apparaît que si on la retourne : à l’instar des célèbres escarpins dont on ne devine la couleur qu’à la faveur d’un pied qui se lève, le rouge reste ici confiné dans un secret que seul le langage trahit. Le vrai luxe c’est de pouvoir s’abriter derrière le verbe. Les pièces de Julien Quentel, comme cette autre boîte fabriquée à la main par l’artiste qui épouse la forme d’une vraie boîte « manufacturée » (shoebox made by hand), empruntent au langage pour subtilement signifier la rouerie de ce dernier et sa non adhérence à la chose : ceci n’est pas une boîte de chaussures.